Existe-il une France fasciste, ou faut-il réserver cette notion à d’autres configurations historiques, comme l’Italie mussolinienne ? Ce débat s’est longtemps réduit à une querelle d’écoles. Pour le politiste israélien Zeev Sternhell – et le courant historiographique qui s’en inspire –, la réponse est positive : la « droite révolutionnaire » française d’avant 1914 a même constitué la matrice du fascisme européen. Violemment opposée aux Lumières et au libéralisme, cette droite appelle à un ordre nouveau dirigé par un pouvoir fort. Ligues des années 1930, Jeunesses patriotes, francistes ou Croix-de-Feu sont issus de cette mouvance.
Pour l’historien français René Rémond et ses élèves, à l’inverse, il n’y a jamais vraiment eu de fascisme français. La droite française s’est construite d’une manière spécifique qui n’a pas permis à la tentation fasciste de trouver de place dans le paysage politique, contrairement à d’autres pays. L’extrême droite française est à leurs yeux plus proche d’un bonapartisme ultra que du fascisme italien.
Un archipel de groupuscules
En fait, le fascisme français existe bien après 1918 mais sous une forme qui n’est pas celle de l’Italie ou de l’Allemagne. En France, il ne s’agit pas d’un parti de masse avec son guide, mais d’un ensemble de groupuscules entretenant querelles byzantines et interconnexions. En 1936, les francistes de Marcel Bucard, mouvement explicitement fasciste, représentent à peine 800 militants. Beaucoup plus nombreux, les Croix-de-Feu (que Z. Sternhell estime fascistes) en comptent 125 000. Au total, les militants d’extrême droite totalisent 5,5 % de la population active. Pour comparaison : le parti nazi a regroupé plus de huit millions de membres.
La droite radicale française n’a jamais réussi à former un bloc. Elle est toujours restée à l’état d’archipel. Sous le régime du Vichy, au cours duquel le maréchal Pétain a refusé l’organisation d’un parti unique, 88 partis sont en activité, avec une noria de groupuscules aux ambitions aussi démesurées que leurs effectifs sont squelettiques. Beaucoup de ces groupes se retrouvent autour du collaborationnisme. On assiste alors, dans le creuset de la guerre, à une transformation idéologique pérenne : l’horizon n’est plus la « ligne bleue des Vosges », mais l’Oural. On parle désormais de « nationalisme européen ». Dans la presse, des engagés français de la Waffen-SS, on fait l’éloge de « l’homme blanc », une notion qui n’a à voir ni avec le nationalisme français classique (Vichy édite une affiche où, devant un drapeau tricolore, figurent un Arabe, un Africain et un Asiatique avec ce slogan : « Trois couleurs, un drapeau, un Empire », ni avec l’hitlérisme (qui voit dans les Slaves des sous-hommes).