Les représentations sociales

L'image de la psychanalyse

L'étude de Serge Moscovici sur l'image de la psychanalyse a ouvert la voie aux études sur les représentations sociales. Du capitalisme à la jeunesse, du chômage à l'Amérique... le monde est sans cesse interprété à l'aide d'images simples qui nous aident à comprendre et à agir.

La psychanalyse est plus qu'une théorie psychologique ou une thérapie : c'est un phénomène de société. Au xxe siècle, aucune théorie psychologique n'a connu autant de succès et une diffusion aussi massive dans le public.

Durant l'entre-deux-guerres, elle se diffuse dans les sphères de l'intelligentsia. Des marxistes aux existentialistes, des surréalistes aux théologiens jésuites, philosophes, anthropologues, écrivains, artistes en débattent des deux côtés de l'Atlantique. Dans les années 50, elle se répand auprès d'un public plus vaste, notamment par l'intermédiaire de la grande presse. « L'inconscient » et le « complexe d'OEdipe » deviennent populaires. La psychanalyse suscite rejet chez les uns et stimule l'intérêt des autres.

En 1961, Serge Moscovici, un jeune psychosociologue, publie une étude sur la diffusion de la psychanalyse auprès du public1. Il ne s'agit pas pour lui d'étudier la psychanalyse comme théorie, mais comme « représentation », dans le public et les journaux. Comment la presse présente-t-elle la théorie de Freud ? Comment les gens réagissent-ils face à son message ?

Premier constat : la psychanalyse ne laisse pas indifférent. La presse communiste la traite de « science bourgeoise ». Importée des Etats-Unis en France, elle contribuerait à détourner les masses de la lutte de classe. La presse catholique réagit de façon plus différenciée : malgré une attitude de réserve à l'égard de la sexualité, on admet que la psychanalyse contribue à traiter des problèmes psychologiques et pédagogiques.

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Dans son étude, Serge Moscovici met à jour deux phénomènes majeurs liés à la transformation d'une théorie en représentation commune : « l'objectivation » et « l'ancrage ».

Le premier phénomène - l'objectivation- consiste à transformer une notion abstraite et complexe en une réalité simple, concrète et perceptible sous une forme imagée. C'est le cas de la notion d'inconscient. Alors que Freud a reformulé plusieurs fois sa théorie de l'inconscient (il l'oppose d'abord au préconscient et au conscient ; puis il décide d'abandonner la notion d'inconscient qu'il juge ambiguë au profit d'un modèle de la personnalité en trois instances : le Ça, le Moi, le Surmoi), le discours commun n'en retient qu'une vision simple et concrète. L'inconscient devient une réalité clairement établie et, bien que caché, agit comme un sujet autonome, un deuxième « Moi ». Par ailleurs, le public accepte la notion d'inconscient en la dépouillant de sa dimension sexuelle clairement affirmée chez Freud.

De même, les notions de « complexe d'OEdipe» et de « castration » sont devenues, dans l'usage courant, « avoir des complexes » qui ne renvoie plus à une problématique oedipienne mais devient synonyme de « conflit psychologique inté-rieur ».

Après l'objectivation, l'ancrageest un second caractère associé à la notion de représentations sociales. Il rend compte du fait qu'une représentation, pour s'incorporer à un réseau de représentations existantes, doit y trouver une place et une fonction. Elle doit être « fonctionnelle ». Elle donne du sens à des phénomènes nouveaux. Ainsi, certains conçoivent la psychanalyse comme une « technique de confession », ou simplement un luxe propre à certains milieux sociaux : les riches, les intellectuels, les artistes... Vue sous cet angle, elle peut prendre place dans un système plus global d'interprétation de la réalité.