Un homme reçoit dans le désert d’Arabie un message de Dieu ; il s’appelle Mahomet 1. C’est un Bédouin, né dans le désert d’Arabie. Vers 610, l’ange Gabriel lui annonce qu’il est l’ultime prophète choisi par Dieu pour éclairer l’humanité. La révélation divine sera fixée plus tard par écrit pour éviter qu’elle ne s’efface des mémoires : ainsi naîtra le Coran.
Que contient cette révélation ? Qu’il n’y a qu’un Dieu, « Allah », et qu’il faut lui obéir. Mahomet se met à prêcher la nouvelle prophétie. D’abord à La Mecque, sa ville de naissance, mais seuls quelques proches le suivent. Persécuté par les membres de sa tribu, il se réfugie à Médine. Cet exil a lieu en l’an 622, date de « l’hégire », le début du calendrier islamique.
À Médine, Mahomet réussit à convertir plusieurs tribus. Il devient leur chef.
À la tête d’une petite armée, il se lance alors à la conquête de La Mecque, qu’il soumet, puis d’une partie de l’Arabie.
Après la mort de Mahomet en 632, les califes qui lui succèdent se lancent à la conquête du monde « dans la voie de Dieu ». En un siècle, l’islam se répand en un immense empire qui s’étend de l’Espagne à l’Afghanistan. La civilisation musulmane est née.
Voici, en peu de mots, l’histoire canonique des débuts de l’islam telle qu’elle est racontée par la tradition musulmane. On la retrouve dans tous les manuels d’introduction aux religions. C’est également ce récit qui a longtemps servi de cadre général aux historiens.
Une histoire révisée
Mais voilà qu’une nouvelle génération d’historiens (voir encadré) remet radicalement en cause ce scénario. Un autre paradigme des origines bouleverse de fond en comble le « grand récit » traditionnel. Que dit cette histoire ?
Que Mahomet ne fut pas le premier musulman, mais qu’il se serait converti à une forme de judéo-christianisme présent dans tout le Moyen-Orient à son époque.
L’islam comme religion séparée, avec sa doctrine, ses rites et sa législation serait donc une création plus tardive. Elle se serait progressivement mise en place durant les premiers siècles dans un contexte de conquête impériale, au moment de l’instauration d’un nouveau pouvoir califal. C’est dans ce contexte de création d’un État théocratique que l’islam aurait été inventé et qu’un récit de fondation aurait été forgé.
Jusqu’à présent, les sources musulmanes faisaient remonter l’origine de l’islam aux années 610, date des premières prédications de Mahomet. Auparavant, nous disait la tradition religieuse, l’Arabie vivait dans « l’âge de l’ignorance », vouant un culte à des idoles, les divinités tribales. Or les choses apparaissent sous un tout autre angle dès lors qu’on s’interroge sur ce qui se passait au Moyen-Orient et en Arabie au tournant du 7e siècle et dans toute la région. Au moment où Mahomet entre sur la scène de l’histoire, le judaïsme et le christianisme poursuivent leur expansion dans le Moyen-Orient : des royaumes chrétiens et juifs sont implantés tout autour de l’Arabie, et de nombreuses tribus arabes se sont déjà ralliées au dieu unique des juifs et chrétiens (voir carte).
Domination chrétienne, conversions arabes
Observons plus précisément la situation. Au nord et à l’est de l’Arabie, l’empire chrétien (byzantin) étend sa domination de l’actuelle Syrie à l’Égypte. Pour défendre ses frontières des attaques, l’empire byzantin fait appel à des tribus arabes comme celle des Ghassanides 2, installées dans la Jordanie actuelle. Leurs chefs se sont ralliés au christianisme 3. La tribu princière des Ghassan combat une autre tribu arabe : les Lakhmides, qui sont majoritairement christianisés. Leur roi, contemporain de la jeunesse de Mahomet, a fini par se convertir. Les caravaniers de La Mecque sont en contact avec des marchands venus d’Égypte, alors dominée par les élites chrétiennes. Plus au sud, le grand royaume éthiopien d’Aksoum est aussi chrétien (d’obédience nestorienne). C’est d’ailleurs en Éthiopie que trouveront refuge les compagnons du prophète persécutés à La Mecque. Indice intéressant, l’histoire canonique rapportée par la tradition musulmane nous dit qu’ils seront très bien accueillis par le roi chrétien avec qui Mahomet entretenait de bonnes relations 4. Le royaume d’Aksoum étend sa domination jusqu’au sud de l’Arabie et combat le royaume juif d’Himyar, situé dans l’actuel Yemen. Plusieurs routes caravanières relient ces royaumes chrétiens et juifs. La Mecque est l’un des carrefours où se croisent les Bédouins arabes de différentes obédiences : juifs, chrétiens, païens.
