La beauté a-t-elle une couleur ?

Des débuts de l’esclavage à nos jours, beauté rime avec clarté de la peau. Des historiens retracent l’émergence de ce « colorisme »..

17259604250_BEAUTE_COULEUR_AFRO_TW.webp

« Reconnaître et sanctionner la discrimination capillaire. » C’est l’objectif d’une proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale le 28 mars 2024, afin d’interdire toute distinction entre les citoyens selon « la coupe, la couleur, la longueur ou la texture de leurs cheveux ». Le député de Guadeloupe Olivier Serva (Libertés, Indépendants, Outre-Mer et Territoires) a déposé le texte s’inspirant de l’idée d’une artiste-peintre guadeloupéenne, Guylaine Conquet. Dans son exposition de 2023 « From Embarrassment to Pride » (« De la honte à la fierté »), elle représente des visages noirs arborant coupes afros, cornrows (tresses plaquées) ou torsades. Une mise en valeur d’arrangements traditionnels du cheveu naturel africain pour s’opposer au « système, qui inspire toujours les femmes et leurs filles à considérer les cheveux lisses comme le seul canon acceptable de beauté », précise le texte de présentation de l’expo. Mais d’où vient ce canon de beauté, qui loin de se réduire aux cheveux crépus ou frisés, a fait de tous les signes extérieurs des populations africaines – à commencer par la couleur de la peau –les stigmates de la laideur ?

À partir du 15e siècle, le développement de l’esclavage européen de peuples issus d’Afrique encourage une hiérarchie esthétique. La noirceur devient le gradient de la servitude ; la clarté, celui de la possibilité d’être traité plus favorablement. « Aux Amériques, les esclaves à peau claire étaient mieux considérés que les autres, jouissaient d’un statut plus élevé », renchérit l’historien Pap Ndiaye. Chez les femmes, la « valeur était d’autant plus grande que leur teint était clair, “délicat”, comme on disait, pour le service de maison ou des services sexuels 1 ». Toute une hiérarchie sociale se construit dans les propriétés esclavagistes sur la base de ce préjugé esthétique. Les serviteurs les plus foncés sont affectés aux durs labeurs, quand les clairs et les métis accomplissent missions d’intendance et d’artisanat.