La classe inversée, origine et efficacité

Venue d’Amérique du Nord, la « classe inversée » bouscule les espaces-temps : les leçons sont proposées en dehors du temps scolaire, pour que l’enseignant se consacre davantage à l’accompagnement des élèves en classe. Comment cette méthode pédagogique s’applique-t-elle ? Quels sont ses effets et ses limites ?

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Qu’est-ce que la classe inversée ?

Autour d’une paillasse du laboratoire de physique-chimie, un professeur est en grande discussion avec un groupe de trois élèves de terminale. Lors du cours précédent, il a distribué à sa classe un document sur lequel figure un QR code. En scannant ce code avec son smartphone, chaque élève a pu accéder à une courte vidéo exposant une nouvelle notion de cours. Après avoir rempli le questionnaire situé sous la vidéo, tous ont mis en commun leurs réponses en utilisant une plate-forme collaborative en ligne. Les élèves ont aussi préparé les travaux pratiques qu’ils auront à réaliser par petits groupes en classe. Dans le laboratoire, certains ont choisi d’imprimer les consignes sur papier, quand d’autres y ont accès via une application installée sur leur téléphone. Armé d’une tablette numérique, l’un des lycéens prend une photographie d’une burette que sa camarade manipule pour en faire disparaître une bulle d’air qui pourrait fausser les mesures. Avec les autres élèves, ils vont créer un livre numérique, recensant en texte et en images les diverses étapes de ces travaux. Déposé sur un espace collaboratif en ligne, le support leur servira pour les révisions du baccalauréat.

L’enseignant qui réalise cette expérience pratique depuis quelques années la « classe inversée ». Concrètement, les leçons sont proposées en dehors du temps de classe proprement dit, tandis que ce dernier est réservé à l’accompagnement des élèves dans leurs apprentissages. L’idée est souvent résumée par l’expression – quelque peu réductrice – « les cours à la maison et les devoirs en classe ». La classe inversée encourage surtout une « dynamisation » du temps sur les bancs de l’école. Ce temps est consacré à des activités pratiques pour les élèves, comme de la résolution de problèmes ou d’autres tâches complexes, en privilégiant le travail en groupe. La méthode convient a priori à toute discipline et à tout niveau, depuis le primaire jusqu’à l’université. Il existe d’ailleurs une grande diversité de pratiques. Le chercheur belge Marcel Lebrun, professeur en technologies de l’éducation à l’Université catholique de Louvain, propose une typologie, en étudiant les expériences de classes inversées dans le monde francophone. Il distingue historiquement un premier type de classe inversée, où les apports théoriques sont délivrés à distance tandis que le temps en classe est destiné à la mise en pratique. Ce modèle a ensuite évolué vers un autre type de classe inversée, qui consiste à élargir le spectre des activités réalisées à distance : en plus de la vidéo de cours à visionner, les élèves sont par exemple amenés à remplir un questionnaire, et à préparer, souvent en groupe, un exposé qu’ils présenteront en classe 1. « La pédagogie inversée s’inscrit dans un mouvement où il s’agit de former l’apprenant à apprendre par lui-même de façon à renforcer son autonomie », explique M. Lebrun. Elle s’inspire en cela des pédagogies actives, telles les pédagogies Freinet ou Montessori, dans lesquelles l’apprenant devient acteur de ses apprentissages.


À l’université aussi

Bienvenue dans le cours AP50 ! La devise de ce cours de physique un peu spécial, conçu par le professeur Eric Mazur à Harvard ? « No lectures, no exams » – ni cours magistral ni examen. Et de fait, le cours Applied Physics 50 ne comporte pas plus d’enseignement frontal que d’examen final. E. Mazur estime en effet qu’une évaluation finale ne saurait garantir un apprentissage en profondeur des principes de base de la physique. Les étudiants du cours AP50 sont donc soumis à un contrôle continu tout au long du semestre. En cas de réponse fausse à une question, celle-ci est répétée et l’étudiant a la possibilité de consulter ses pairs pour recevoir des explications en vue d’arriver à la réponse. Les étudiants peuvent aussi consulter leurs notes ou Internet la plupart du temps. En amont du cours, chaque étudiant doit réaliser un travail préparatoire de lecture individuelle et de réflexion collective à partir d’un manuel de physique. Le temps en présentiel est notamment consacré à trois projets en équipe par semestre, afin de favoriser un apprentissage collaboratif entre les apprenants. De plus, à chaque nouveau projet, l’équipe change. Ces activités pratiques, exigeant un effort de coordination entre les membres du groupe, sont destinées à développer chez les étudiants une forme d’expérience de la posture d’ingénieur. Les salles de cours se prêtent volontiers au travail collectif, avec un mobilier se déplaçant facilement – tables rondes, chaises et tableaux blancs sont tous sur roulettes. Le personnel enseignant, qui assiste et supervise chaque groupe, est disponible en classe et en dehors, par courriel ou téléphone. L’équipe enseignante se réunit une fois par semaine pour discuter des problèmes rencontrés, proposer des améliorations et planifier les séances à venir. Voilà l’un des quelques exemples d’application de la classe inversée à l’université, recensés dans un ouvrage collectif sur la pédagogie inversée dans l’enseignement supérieur (2). 2 Que ce soit en sciences ou en langues étrangères, les expérimentations se multiplient. Ces initiatives partagent un objectif commun : faire en sorte que les étudiants prennent la responsabilité de leurs apprentissages.

• » propose de multiples témoignages et ressources pédagogiques pour se lancer dans la classe inversée, et organise également un congrès annuel, Classes Inversées, le congrès (CLIC). propose une sélection de ressources sur la classe inversée, comportant notamment des témoignages vidéo d’enseignants sur leurs propres pratiques. Jonathan Bergmann et Aaron Sams, ISTE, 2012. Salman Khan, Lattès, 2013. Marie-Hélène Fasquel, Bourin, 2017.