La compassion, une force qui fragilise

Confrontés aux souffrances d’autrui, beaucoup de professionnels répondent avec empathie. Au risque, parfois, de s’y abîmer...

«J’adore mon boulot dans ce service d’urgences médico-légales. Mais depuis quelque temps, je pète les plombs à la moindre contrariété. La nuit, c’est l’enfer : je réentends le témoignage de certains patients, je revois leurs blessures… Je ne dors plus, j’arrive laminée au boulot. Et là, c’est le déversoir : il suffit que je demande à chaque patient comment il va pour qu’aussitôt il ouvre les vannes de sa souffrance ! Du coup, j’ai parfois l’impression d’être un monstre de froideur… »

Ce témoignage de Sarah, infirmière, pourrait évoquer un burn-out, mais les flash-back nocturnes ne trompent pas : elle est victime de fatigue compassionnelle. Cette fatigue, appelée aussi « usure de compassion », a été conceptualisée par Carol Joinson en 1992, chez les infirmières en cancérologie 1. Dans sa définition la plus répandue, elle est la rançon du contact prolongé à la souffrance d’autrui, et son apparition, le fruit d’un long processus au cours duquel professionnels de l’urgence, travailleurs sociaux… manifestent divers symptômes tels qu’épuisement, colère, dépression et apathie.