Y-a-t-il un gène de la criminalité ?
Plus généralement, des conceptions défendent l'idée de facteurs biologiques qui détermineraient ou seraient liés à des comportements criminels. Et cette vision ne date pas d'hier... Cesare Lombroso (1836-1909), présenté souvent comme le père de la criminologie (discipline qui tente de comprendre les causes du crime, le comportement mental des criminels, leur personnalité et les pathologies liées à l'acte criminel), proposait une théorie très déterministe du « criminel-né », reposant sur des données anthropologiques, psychiatriques et héréditaires. Le type criminel serait une sous-espèce primitive d'Homo sapiens, reconnaissable à des caractéristiques anatomiques : le violeur a de longues oreilles, les yeux rapprochés, le nez épaté, alors que le meurtrier a un crâne étroit et des pommettes saillantes. Sa personnalité est caractérisée par une instabilité psychique, marquée par une absence de scrupules, de remords. Violent, vaniteux, sensuel (sic), il n'éprouve que peu de compassion et de pitié. C. Lombroso, sous l'influence de la théorie darwinienne, considère le crime comme ayant une origine biologique, sur laquelle de nombreux facteurs peuvent influer : le climat, la pauvreté, la race, l'immigration, l'éducation, le chômage... C. Lombroso, dont la théorie va déclencher des réactions enflammées (on crie au génie ou on s'insurge), est le chef de file d'un courant de la criminologie, le positivisme. Il s'agit d'accumuler des faits, des observations et des expérimentations (C. Lombroso a passé trente ans à mesurer des crânes et à étudier près de 6 000 criminels). Les positivistes ne se centrent que sur le criminel, et ne manifestent que peu d'intérêt pour l'acte ou la peine. Enfin, le libre arbitre n'a aucune place selon eux dans le comportement criminel. Un autre positiviste italien, Enrico Ferri (1856-1929), professeur de droit et sociologue, va également influencer la criminologie du début du xxe siècle. Pour lui, la nature des facteurs en présence (les caractéristiques anthropologiques, les milieux physique et social) chez l'individu détermine son profil criminel : criminel-né, délinquant aliéné, délinquant d'habitude, délinquant d'occasion ou criminel passionnel. La justice a longtemps utilisé ces « profils » pour adapter le type de sanction.
Sans être purement « biologisante », la vision de C. Lombroso et des positivistes aura son pendant au xxe siècle, avec le développement des techniques médicales. Régulièrement, des chercheurs tentent de mettre en évidence des différences physiologiques entre les criminels et les non-criminels. Certaines ondes cérébrales seraient de plus faible fréquence, ou encore le coeur battrait plus lentement chez les criminels. Mais que faire de ces données ? Que nous apprennent-elles sur les causes du phénomène criminel ? Certains ont pris la question à bras-le-corps, en tentant de montrer une composante héréditaire à la criminalité. Sarnoff A. Mednick, William F. Gabrielli Jr et Barry Hutchings ont, en 1984, comparé le taux de délinquance d'adolescents adoptés à leur naissance et dont les parents biologiques avaient un passé criminel, avec le taux de délinquance d'adolescents adoptés dont les parents naturels étaient sans passé criminel. Il en ressort que ce taux est supérieur chez les adolescents avec un « héritage » familial de criminalité. Alors, ces résultats sont-ils de nature à évoquer une transmission génétique de la criminalité ? Michael R. Gottfredson et Travis Hirschi, dans leur livre A General Theory of Crime (Stanford University Press) datant de 1990, ont critiqué cette étude, du fait de la trop faible différence entre les taux de délinquance des deux groupes d'adolescents. Même s'ils n'excluent pas l'existence d'un marquage génétique, cette hypothèse n'est pas suffisamment étayée par des résultats probants pour définir une nouvelle théorie de la délinquance. S'il existe, le gène de la criminalité n'a pas été encore découvert. Mais est-ce vraiment à souhaiter ? Le débat, comme tous ceux concernant la criminalité, est loin d'être clos.