La tentation d’étendre les mécanismes de l’évolution aux comportements de l’être humain, du plus spontané au plus sophistiqué, ne date pas d’hier. Charles Darwin lui-même, en 1871, exprimait le vœu qu’une science unifiée du comportement animal et humain soit un jour constituée. Il concluait cependant que, sous l’effet d’instincts de « sympathie », l’homme civilisé vivait désormais sous le règne de la culture plutôt que sous celui de la nature. De cette proposition, les théoriciens du « darwinisme social » (Herbert Spencer, Francis Galton) ne retinrent que le second terme, et développèrent une vision très partielle des sociétés humaines fondée sur le principe de la « lutte pour la vie ».
Le projet d’une sociobiologie
Transposées dans différents contextes sociaux, ces idées sont venues au secours de divers racialismes, eugénismes et machismes préexistants. Au cours de la première moitié du XXe siècle, ces doctrines rencontrèrent un succès public suffisant pour que des politiques coloniales et des campagnes de stérilisation soient menées en leur nom. Les sciences humaines en revanche, quand elles n’y étaient pas hostiles dès le départ, développèrent un rejet croissant de l’évolutionnisme. Ce rejet, la catastrophe du nazisme acheva de le consacrer moralement, tandis que, paradoxalement, la théorie dite « synthétique » de l’évolution, étayée par les découvertes de la génétique, s’imposait largement dans le champ de la biologie. Trente ans de relatif silence n’ont pas empêché, cependant, l’éthologue Edward O. Wilson de reprendre, en 1975, l’essentiel du projet de Darwin, et de faire le projet d’une sociobiologie appliquée aux sociétés humaines. Malgré une certaine simplicité d’arguments, on lui doit d’avoir intégré à ses objets d’étude les comportements dits « altruistes » par les éthologues. L’altruisme désigne toutes les conduites a priori désavantageuses pour l’individu mais répandues dans les sociétés animales comme humaines : sacrifice de soi, coopération, générosité, etc. Comment expliquer leur diffusion ? Diverses explications fondées sur la communauté de gènes (altruisme de parentèle) ou la communauté d’intérêts (altruisme réciproque) ont été avancées, donnant une description un peu plus vraisemblable des sociétés que celle d’une lutte de « tous contre tous ». La sociobiologie s’est cependant heurtée à un certain échec par le recours mécanique aux modèles animaux et au tout génétique.