De nombreux livres traitant de la démocratie, antique ou moderne, ont paru ces derniers mois. On imagine à bon droit qu’il est question de l’amender, afin de la rendre plus efficiente encore. Mais d’autres inquiétudes surgissent aussi en amont, qui portent sur les capacités mêmes de la démocratie à se maintenir durablement, aujourd’hui comme dans le passé. Pour les examiner, il est donc salutaire d’accompagner Paul Cartledge, éminent antiquisant britannique, d’abord dans sa remontée des tribulations de la démocratie en Grèce ancienne, là où elle fut, selon l’historiographie classique, inventée, diversement développée, mais aussi contestée et bien souvent mise à bas par ses ennemis.
Un des premiers enseignements à retirer du tableau qu’il en donne est que, dans les cités grecques, la participation des citoyens au pouvoir politique a connu des formes si différentes que le mot « démocratie » doit être entendu au pluriel, certaines de ces formes méritant à peine d’être qualifiées ainsi. Des deux cités modèles dominant la période classique, Athènes et Sparte, la seconde, dotée d’un roi chef des armées, d’un directoire tout-puissant, d’une petite couche de citoyens et d’une assemblée aux pouvoirs faibles, passerait plus volontiers pour une autocratie ou une oligarchie, modèle que les Spartiates n’eurent de cesse d’exporter. Athènes, en revanche, exemplaire du genre démocratique avec son ecclesia ouverte à tous les citoyens de sexe masculin et ses tirages au sort, fait figure de référence pour les Modernes. Pour autant, les philosophes contemporains n’appréciaient guère son régime. Comme le souligne P. Cartledge, Les Politiques d’Aristote, et d’autres textes de son école, fustigent la fragilité du pouvoir exercé directement par le peuple. Cette populace, trop encline à suivre ses émotions du moment, serait par nature instable et influençable. D’où, également, la critique féroce de Platon vis-à-vis des sophistes, maîtres de la parole capables de soutenir les opinions les plus contraires et de manipuler les foules. Cependant, assurés de la solidité de leurs institutions, les Athéniens acceptaient en leur sein l’existence d’une faction oligarchique. Pour ces derniers, seuls les plus éclairés – et souvent les plus riches – étaient en mesure de gouverner, débarrassés qu’ils étaient d’intérêts mesquins et contingents. À deux reprises, d’ailleurs, Athènes vécut l’éclipse de sa démocratie avant de s’incliner, en 322 av. J.C., devant la puissance macédonienne, laquelle s’imposa à toute la Grèce. Selon certains historiens, dont P. Cartledge, la démocratie athénienne survécut, quoiqu’inféodée à Philippe II de Macédoine.