En 1949, le mot désinformation (desinformatsia) fait son apparition dans le Dictionnaire de la langue russe de Sergueï Ojegov. Forgé par le KGB, le service de renseignement de l’URSS, il désigne l’action de faire valider par quelqu’un que l’on veut induire en erreur une certaine description du réel ou, tel que le définit le politiste François-Bernard Huyghe, le fait de « propager délibérément des informations fausses, prétendues de source neutre, pour influencer une opinion et affaiblir un camp 1 ». L’objet d’une opération de désinformation est d’orienter l’action de celui qui reçoit une information qu’il tient pour crédible dans un sens qui lui est défavorable. Dans sa définition originelle par le KGB, la désinformation renvoie en particulier aux opérations militaires d’intoxication de l’adversaire.
Avant la Seconde Guerre mondiale, Staline avait fait exécuter le commandant général de l’Armée rouge, le maréchal Toukhatchevski, sur la foi de faux documents forgés par l’Allemagne nazie qui semblaient fournir la preuve de sa trahison. En 1943, Hitler a été convaincu que les alliés allaient débarquer en Sardaigne et non pas en Sicile par l’opération alliée « Mincemeat » : sur un cadavre échoué sur une plage identifiable comme celui d’un officier anglais, les Allemands avaient trouvé des documents indiquant que de fausses informations seraient envoyées aux Allemands pour leur faire croire à un débarquement en Sicile. Plus tard, pendant la guerre d’Algérie, les services secrets français ont fait parvenir aux chefs de l’Armée de libération nationale des listes de prétendus collaborateurs, ce qui a entraîné l’exécution de plusieurs milliers de soldats. Les Soviétiques, quant à eux, se sont fait une spécialité de la maskirovka, le « camouflage », autrement dit des opérations de désinformation militaire.
Informations trompeuses
La notion russe de desinformatsia est adoptée en 1972 dans la langue anglaise (disinformation) et peu de temps après dans la langue française avec ce même sens d’opération délibérée visant à induire en erreur par le recours à des informations trompeuses.
Si le mot « désinformation » est récent, la réalité qu’il désigne est bien plus ancienne. Les Anglo-Saxons emploient volontiers pour désigner cette dernière le terme « deception », emprunté aux vieux français. Depuis le Moyen Âge, en effet, et pendant très longtemps le mot « déception », emprunté au latin deceptio, désignait la tromperie, autrement dit l’action de tromper ou le fait d’être trompé. Dans son acception anglaise moderne, la deception recouvre tous les types de communication qui visent à déformer ou à omettre la vérité, qu’il s’agisse d’informations fausses ou équivoques, de dissimulations ou d’exagérations. Dans cette acception très large, la désinformation est aussi ancienne que l’humanité. Platon, dans La République, encourageait les dirigeants des cités à créer de « nobles mensonges », considérant que, « quand, par suite de l’ignorance où nous sommes des faits authentiques du passé, nous conformons autant que possible le mensonge à la vérité, ne rendons-nous pas, par-là, le mensonge utile ? 2 »