Leurs auteurs sont tous deux originaires de l'ancien Empire austro-hongrois : Schumpeter est autrichien, Polanyi, hongrois. Ils ont fini par fuir le nazisme en émigrant aux Etats-Unis (Polanyi après un passage en Angleterre), et ont donc été témoins des conséquences de la grande crise de 1929, à commencer par le renforcement du rôle de l'Etat, aussi bien dans les pays fascistes qu'en URSS ou aux Etats-Unis (à travers le New Deal), l'essor des grandes organisations bureaucratiques, la montée du protectionnisme... Alors que de nombreux contemporains, à l'image de Hayek qui fait paraître en 1944 La Route de la servitude, doutent des chances de succès du socialisme, l'un et l'autre annoncent le déclin du capitalisme.
Aucun des deux ne s'inscrit pour autant dans la tradition marxiste. Pour Schumpeter comme pour Polanyi, la cause du déclin du capitalisme n'est pas à chercher dans des contradictions strictement économiques (comme la baisse tendancielle du taux de profit) mais dans l'affaiblissement des bases morales et sociales pour Schumpeter, dans l'aspiration à la protection sociale des sociétés modernes pour Polanyi.
Mais là s'arrête le parallèle. Tant sur le plan du style que de l'approche, les ouvrages diffèrent. Schumpeter est un économiste mais aussi... un esprit provocateur. S'il s'appesantit sur les risques de déclin du capitalisme, c'est en définitive pour le regretter. Qui plus est, le socialisme tel qu'il le définit n'a guère à voir avec le socialisme expérimenté au même moment en URSS ; loin de marquer une rupture avec le capitalisme, il en constitue l'aboutissement naturel.