La faim dans le monde, une malédiction ?

Qu’elle prenne la forme de la famine ou celle, plus masquée, de l’insécurité alimentaire, la faim touche aujourd’hui jusqu’à un tiers de l’humanité. Comment l’expliquer alors que l’agriculture produit largement de quoi nourrir la planète ? Autopsie d’un scandale économique et politique.

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Insoluble question de la faim ? Quel que soit le bout par lequel on le prend, le spectre de la famine, qui touche l’humanité depuis ses débuts, résiste aux progrès de la production agricole partout dans le monde. Après la Seconde Guerre mondiale, les Nations unies avaient créé une agence dédiée à l’agriculture et l’alimentation (la FAO) dont l’objectif était d’éradiquer la faim. Après soixante ans d’efforts, elle n’y est toujours pas parvenue. Cette résistance de la faim est jugée d’autant plus scandaleuse aujourd’hui que nous produisons largement de quoi nourrir les huit milliards d’humains que nous sommes. Nous n’avons jamais jeté autant de nourriture que ces dernières années (le tiers de ce qui est produit). Et pourtant, 2023 s’annonce encore sous le signe d’une grave crise alimentaire.

Pensée comme un objet de science économique et sociale à la fin du 19e siècle, la faim a été théorisée dans les années 1930 par Josué de Castro. Ce médecin géographe brésilien vivait alors dans un pays pauvre, aux très fortes inégalités sociales, et n’acceptait pas que la faim ne puisse être traitée comme un objet politique. Sa Géopolitique de la faim 1 a été l’objet d’une prise de conscience mondiale. Et pour le géographe Maximilien Sorre, professeur au Collège de France, il était un livre « optimiste ». Car il allait droit au but : à ce qu’Alfred Sauvy allait appeler le tiers-monde (allusion au tiers état de l’Ancien Régime). En 1955, J. de Castro s’en prenait à la colonisation européenne et au système des plantations à l’origine du déboisement et des déséquilibres écologiques. Il soulignait les interactions entre l’érosion des sols et la fertilité, la réduction de la biodiversité végétale et animale. En aval de la production agricole, il dénonçait la sous-nutrition comme le résultat de structures foncières dominées par une classe dirigeante esclavagiste se reproduisant par destruction de la forêt et exploitation du travail. Il pointait les carences nutritionnelles (avitaminoses, déficits protéiques, maladies endémiques et épidémiques) dues à la faillite du modèle de monoculture à l’origine de l’exode rural produisant la faim en ville. Une écologie systémique, globale reste toujours d’actualité au 21e siècle et vise à contrecarrer les thèses néomalthusiennes en vogue qui « diminuent l’humanité ».

Une situation qui empire

Pour 2023, le Programme alimentaire mondial (Pam), récompensé par le prix Nobel de la paix après les confinements de 2020, a revu ses objectifs à la hausse. Une sévère insécurité alimentaire touche actuellement 40 millions de personnes de plus qu’en 2021, soit une population de 345 millions d’humains. Les Nations unies ont chiffré à 50 millions le nombre de ceux pour qui, durant ces premiers mois de l’année 2023, l’horizon est tout simplement la famine et la mort dans les semaines qui suivent, et cela ne s’arrêtera pas de sitôt. Un peu moins dramatiques sont les disettes dans certains contextes où la soudure entre deux récoltes de céréales reste assez courte. Un peu moins terrible est la faim dans les pays riches qui, généralement, distribuent de la nourriture aux nécessiteux. Ces faims cumulées, qu’on dit parfois « cachées », touchent près de 900 millions de personnes, une situation que le covid a aggravée de 150 millions dans les dix-huit premiers mois de la pandémie depuis mars 2020. Et si on évoque une insécurité alimentaire « modérée », elle touche près d’un humain sur trois : ils sont 2,3 milliards risquant des carences nutritionnelles graves du fait d’une faim de protéines et de minéraux. Les femmes et les enfants sont plus exposés que les hommes, les enfants de moins de 5 ans accusant de graves pathologies, notamment l’émaciation, forme la plus mortelle de la malnutrition, et le manque de nutriments qui compromet leur immunité, leur croissance et leur développement.