Entretien avec Michel Wieviorka

La France face aux identités culturelles

Selon Michel Wieviorka, la montée des identités culturelles est liée à la sortie de l'ère industrielle, qui entraîne l'apparition de nouveaux mouvements sociaux.

Sciences Humaines : Quand les questions d'identité culturelle sont-elles apparues au coeur du débat politique français ?

Michel Wieviorka : Ces questions ont pris de l'importance tout au long des années 80, avec deux dates importantes : 1981, avec l'arrivée de la gauche au pouvoir, et 1989, date de la chute du mur de Berlin. Nous sommes alors entrés dans une période où les débats sur les questions culturelles semblaient l'emporter de plus en plus sur les débats sociaux. Dès l'élection de François Mitterrand, la France a découvert que l'islam était inscrit dans ses banlieues, pour parler comme Gilles Kepel . La montée du Front national a traduit des inquiétudes sur ce thème, accompagnée d'un certain mélange de hantise de l'islam, de racisme antiarabe et de crise sociale pour des pans entiers de la société française. La chute du mur a accentué ce phénomène jusqu'en 1995, où les grèves de novembre et décembre ont signé le retour de la question sociale dans le débat public.

Comment expliquer cette montée en puissance ?

Dans un premier temps, il a fallu accepter - certes très difficilement - l'idée que nous sortions (mal) de l'ère industrielle classique, avec la montée du chômage et l'apparition d'une société « à deux vitesses », comme on disait à l'époque. A la fin des années 70 ont également commencé à s'affirmer, dans l'espace public, différentes approches qui insistaient sur la fin du mouvement ouvrier comme mouvement social, sur la « fin des grands récits », pour parler comme Jean-François Lyotard et les postmodernes, ceci dans un contexte de crise des institutions (services publics, école, justice...).