La galère du premier emploi

Comment passer de l’école à la vie professionnelle aujourd’hui ? 
Réponse : en passant par un sas de diplômes, de concours, de stages, de CDD, de contrats précaires en tout genre. Il peut ainsi s’écouler des années avant de décrocher le précieux sésame : un emploi stable.

« Pour une durée de six mois minimum, recherche stagiaire entertainment à temps plein. Mission : mise à jour fichiers et line-up, élaboration des offres de partenariat, mise en place et suivi des partenariats, coordination inter-départements (programmation, marketing, publicité), rédaction des bilans des opérations, projections presse », etc. L’annonce, citée par l’illus­tratrice Yatuu sur son blog (1), précise bien qu’« il s’agit d’une proposition de stage, et en aucun cas d’une offre d’emploi ». L’avertissement est utile car le descriptif des missions pourrait laisser penser l’inverse. La rétribution pour ce stage est de 417 euros par mois.

Cette offre n’est pas une exception. Le mouvement Génération précaire, né en 2005 à la suite de la première « grève des stagiaires », recense ainsi périodiquement les postes de « stagiaire chef de cabinet », « stagiaire directeur ressources humaines » ou encore « stagiaire business manager » qui pullulent sur la Toile. Autant d’emplois à temps plein déguisés en stages : « Un stagiaire va en entreprise dans un objectif de formation, il n’est pas là pour assurer les tâches d’un salarié permanent », rappelle Vincent, membre de Génération précaire. Sur son site Web (2), le collectif dénonce l’émergence d’un « sous-salariat », d’« une armée de réserve de plusieurs centaines de milliers de jeunes qui travaillent le plus souvent sans rétribution et sans aucun droit », diagnostic partagé sans réserves par de nombreux observateurs, en France comme à l’étranger (3).

Un « âge de l’insertion »

Le stagiaire est ainsi devenu la figure emblématique de nouvelles formes de travail gratuit, ou faiblement rémunéré, notamment dans les métiers de la communication, des médias, de la culture, mais aussi dans le secteur bancaire, la fonction publique, les transports… On compterait aujourd’hui environ 1,5 million de stagiaires en France, chiffre en constante progression.

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Faut-il alors craindre une banalisation du travail gratuit, au détriment du travail salarié, voire l’émergence d’un nouveau précariat de la jeunesse ? Nous assistons plutôt à « l’institutionnalisation d’une période d’insertion », tempère la sociologue Léa Lima (4), auteure d’une enquête sur l’insertion professionnelle des jeunes. Cette phase, quasi incompressible dans le secteur tertiaire, vient s’intercaler entre la formation initiale et l’accès à un emploi stable. Entre les deux se joue un parcours du combattant, qui passe par l’acquisition de compétences professionnelles sous divers statuts – stages, CDD, contrats uniques d’insertion (CUI), etc. – ayant pour point commun d’être précaires. Entre l’école et la vie professionnelle s’étire donc désormais un « âge de l’insertion », qui commence dès 16 ans pour certains, et peut aller jusqu’à 30 ans, voire au-delà, pour d’autres.