Alors que le nombre de conflits armés a progressé régulièrement pendant la guerre froide, il est en diminution depuis 1992 : c'est l'une des conclusions de « Guerre et paix au XXIe siècle », rapport publié le 17 octobre dernier par le Human Security Center (université de Colombie britannique, Canada). Pourtant, si l'on en croit la profusion de publications sur la guerre, celle-ci hante plus que jamais les esprits.
Comment expliquer cet apparent paradoxe ? Tropisme occidental d'abord. Alors que tout au long de la guerre froide, les faits d'armes et les violences de masse se sont produits aux confins des deux blocs, à partir des années 1990, ils ont fait irruption au cœur de l'Europe (le conflit yougoslave) et aux Etats-Unis (le 11 septembre). Raison conceptuelle ensuite. Notion chère à l'approche « réaliste », la « puissance », entendue comme supériorité militaire relative, est-elle encore opérante face à des menaces qui ne sont plus seulement le fait d'Etats, mais de plus en plus d'acteurs non gouvernementaux ?, pointe Bertrand Badie (L'Impuissance de la puissance, Fayard, 2004).
Que peut la puissance militaire alors que les nouveaux dangers s'appellent terrorisme ou prolifération nucléaire ? Pour certains, la guerre demeure la réponse appropriée. Le monde ne se limite pas, avance le néoconservateur Robert Kagan, à l'oasis de paix que les Européens ont bâtie à l'abri du parapluie nucléaire américain. Il fourmille de terroristes et d'« Etats voyous », sur lesquels seule la manière forte peut avoir prise (La Puissance et la Faiblesse, Plon, 2005).
La guerre, oui, mais à condition de se plier à une éthique, disent quant à eux les tenants de la « guerre juste » (Michael Walzer, De la guerre et du terrorisme, Bayard, 2004). Lorsqu'un Etat abrite des violences de masse ou héberge des terroristes, la « communauté internationale » n'a-t-elle pas tout lieu d'intervenir militairement ? La « moralisation des relations internationales » n'a pas que des adeptes, loin s'en faut. La multiplication des « guerres humanitaires » et « contre le terrorisme » ne manifeste-t-elle pas un « état d'exception permanent », entretenu par les pouvoirs qui entendent régir l'ordre international ?, interrogent Michael Hardt et Antonio Negri (Empire, Exil, 2000 ; Multitude, Exil, 2005).