La masturbation à l'index

La masturbation est un péché sans doute aussi vieux que le monde. Pourtant, selon l’historien Thomas Laqueur, elle n’a pendant longtemps pas soulevé de questions : on n’en parlait tout simplement pas. Selon lui, c’est en 1712 que ce plaisir solitaire va devenir un problème. Un auteur anonyme, en fait le chirurgien et charlatan John Marten, publie cette année-là un ouvrage intitulé Onania ou l’odieux péché de pollution de soi-même. Le livre connaîtra un succès fulgurant. J. Marten y accuse la masturbation de tous les maux : elle causerait la cécité, la folie, la mort prématurée, la démence, la tuberculose… On retrouve partout par la suite cette condamnation : chez les médecins, chez Kant, Rousseau, Voltaire, les encyclopédistes…

Selon T. Laqueur, la masturbation devient une menace au moment du tournant vers la modernité. Elle met en jeu les vertus que la modernité naissante (et en particulier l’économie politique) valorise : imagination, excès, intimité. Mais elle les laisse s’exprimer de manière débridée, alors que la modernité entend les canaliser pour faire émerger un bien commun. Envahi par son désir et coupé des autres, le sujet masturbateur est en quelque sorte trop moderne. Incontrôlé et incontrôlable, il devient une menace pour la société. C’est à ce titre qu’il faut le dénoncer.

 

A LIRE

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Le Sexe en solitaire. Contribution à l’histoire culturelle de la sexualité
Thomas Laqueur, Gallimard, 2005.