Son costume et son chapeau dorés brillent de tous les éclats. En cette froide journée du 25 février 1653, Louis XIV joue son premier ballet. À 15 ans, il interprète Apollon. Les gestes harmonieux et précis du roi expriment une grâce artistique et une maîtrise martiale. Il est jeune encore, mais tout le spectacle a été conçu pour manifester sa puissance. Autour de lui, le public se répand en acclamations admiratives. La performance est féerique, mais les comportements restent courtisans. Il est vrai que pour l’occasion, l’or n’a pas manqué. Les effets de lumière non plus. Et les grands de la cour se sont prêtés à cette mise en scène somptueuse, entrée dans l’histoire sous le titre de Ballet royal de la nuit.
Exposer la majesté royale
Le décorum, l’outil par excellence de mise en scène des pouvoirs, a sans conteste connu son apogée durant le règne de Louis XIV 1. Son lieu symbolique : Versailles. Le palais, outil de publicité et de propagande, est conçu pour asseoir la légitimité du roi. Le château doit faire apparaître la majesté royale comme une figure d’autorité et de splendeur. Dispositif des jardins, orientations des pièces du palais, peintures, sculptures… Tout est conçu pour montrer la supériorité du souverain sur ses sujets et leur inspirer respect et soumission. Quant à la noblesse, elle doit être présente dans l’enceinte du château, afin d’en subir l’influence et d’apprendre l’obéissance hiérarchique policée que l’on nomme déjà « civilité ».
À l’époque, la pédagogie monarchique passe aussi par l’appui de la religion catholique. L’Église relaye les grands événements touchant la famille royale : naissance, mariage, décès, grandes victoires ou drames sont l’objet de célébrations ou de messes solennelles. Elles constituent de véritables « cérémonies de l’information 2 ». Plusieurs fois par an, les Français sont ainsi tenus au courant de la vie du souverain et de sa lignée. Une manière de compléter le lointain outil de légitimation que constitue le sacre, dont chaque geste (le serment, l’onction, la prise des insignes) symbolise l’acquisition de la puissance spirituelle et temporelle. L’Ancien Régime se qualifie ainsi par une mise en relation entre la majesté, le cérémonial et l’organisation de l’espace, et par un contrôle étroit de la parole, pensée comme un monopole de droit divin.
Le modèle de Louis XIV est décliné par ses successeurs directs. Les régents, Louis XV puis Louis XVI, usent à l’envi des cérémonies de l’information et des cadres monarchiques pour imposer leur image du pouvoir à la population. Mais, en réaction à ce protocole rigide, la rue développe d’autres logiques symboliques, dont l’image s’oppose à celle de la cour. Le spectacle – le théâtre en particulier – laisse entrevoir d’autres manières de régler les rapports politiques. À ce titre, Beaumarchais ne se réduit pas à un auteur de pièces célèbres. Il a joué un véritable rôle politique, en créant des scènes de rue où les échanges sociaux pouvaient s’exprimer librement, loin du rayonnement royal. Du point de vue du peuple, les représentations du pouvoir évoluent. Et la défiance envers le roi et ses artifices grandit 3.
En témoigne l’émergence d’un symbole concurrent. Un code couleur, qui circule déjà à la veille de la Révolution. Trois teintes entremêlées : le bleu, le blanc et le rouge. Elles sont déjà utilisées dans des peintures murales avant 1789 4. Certains y voient un soutien à la Révolution américaine, car le drapeau des États-Unis nouvellement créé porte le bleu, le blanc et le rouge. D’autres, un clin d’œil des patriotes mêlé aux bannières de Saint Jean et de Saint Michel, ces saints protecteurs de la France, souvent proches dans les armées depuis le Moyen Âge. Ce n’est qu’après la prise de la Bastille que ces teintes prennent tout leur sens. En acceptant de porter la cocarde bleue, blanche et rouge, tendue par le conseil municipal, Louis XVI manifeste la fusion de la monarchie (le blanc) avec les couleurs du peuple de la ville de Paris (bleu et rouge, symbole parisien depuis le lointain Étienne Marcel). Un commentateur de l’époque parle du « rose » et non du rouge, et Michel Pastoureau y voit du marron… Mais il s’agit bien d’un tricolore et cette combinaison ne peut être isolée de la nouvelle mise en scène qui se déploie sous la Révolution : l’action des foules.