La mobilité comme « capital »

En plus du capital économique, social ou culturel, des travaux récents sur les expériences touristiques ou migratoires ont conduit à mettre en évidence un «capital de mobilité ».

Il ne suffit pas de disposer de moyens de transport, personnels ou collectifs, pour se rendre d'un endroit à l'autre. Qu'elle soit quotidienne, professionnelle, touristique ou internationale, la mobilité exige des compétences particulières, souvent insoupçonnées. C'est ce que des chercheurs, sociologues, anthropologues, géographes et historiens ont entrepris ces dernières années de mettre en évidence en entrant dans la boîte noire des mobilités de différentes catégories de populations : le migrant ou le réfugié, le touriste ou le voyageur, sans oublier l'usager des transports en commun ou les populations de sociétés dites traditionnelles : aborigènes ou Inuits.

Depuis les années 80, les migrants qui vont et viennent entre leur pays d'accueil et leur pays d'origine, pour tirer profit du différentiel de niveau de vie et qualifiés pour cette raison d'« entrepreneurs transnationaux », suscitent l'intérêt croissant des chercheurs (principalement sociologues, anthropologues, géographes mais aussi politologues intéressés par la question de la citoyenneté) 1. Pour peu qu'on y prête attention, leur mobilité ne manque pas de surprendre : outre des compétences linguistiques (un migrant pratique le plus souvent une langue étrangère), elle repose sur une connaissance des procédures administratives aux frontières des pays traversés, de l'évolution du droit à la nationalité, etc. Nombre d'entre eux vont jusqu'à maîtriser l'usage des nouvelles technologies de télécommunication (Internet, portable, etc.) pour rester en contact avec leur famille restée au pays, voire gérer à distance leur exploitation... C'est ce que montrent notamment diverses monographies comme celles de Dana Diminescu réalisées auprès de migrants roumains ou d'autres horizons 2. Les ressources mobilisées par ces entrepreneurs sont tout à la fois individuelles et collectives : ils s'appuient sur les réseaux communautaires et familiaux pour déployer leurs activités d'échange.

Ces approches amènent à poser un autre regard sur la figure du migrant, voire à poser en termes nouveaux le débat autour de l'immigration : ces migrants n'ont pas tous vocation à renoncer à leurs attaches avec leur pays d'origine pour s'intégrer dans leur pays d'accueil. Le cas des entrepreneurs transnationaux esquisse les contours d'une autre citoyenneté, découplée de la nationalité 3.

Les compétences du touriste

D'autres travaux récents s'attachent de même à réhabiliter la figure du touriste en mettant en évidence les compétences ou savoir-faire qu'il acquiert au fil de ses expériences de voyage. On pense aux travaux du géographe Rémy Knafou et de son équipe du Mit (voir l'article, p. 28). Dans son ouvrage Sociology beyond Societies 4, le sociologue John Urry rappelle d'ailleurs ce fait méconnu : le mot anglais « travel » (qui signifie voyage) a la même origine étymologique que le mot travail, suggérant par-là que voyager ne va pas de soi, que cela implique une succession de tâches plus ou moins bien maîtrisées par les voyageurs, comme par exemple, pour ceux qui font le choix de voyager en avion, se rendre à l'aéroport, enregistrer ses bagages, montrer son passeport, le tout ponctué de moments d'attente qu'il s'agit d'occuper.