Comme l'indique le sous-titre de son ouvrage, Jean-François Bayart s'inscrit parmi les critiques de la mondialisation. Il ne s'en emploie pas moins à saper nombre de représentations en vogue, du souverainisme à l'altermondialisme, en passant par les global studies. La globalisation - il préfère ce terme à celui franco-français de mondialisation - est-elle synonyme de délitement de l'autorité publique ? J.-F. Bayart affirme au contraire qu'à l'interface entre le local et le global se joue la « formation de l'Etat ». La globalisation détruit-elle les formes de socialité ? Doit-elle se lire sur le seul registre de la dépossession et de la soumission ? Non, répond encore l'auteur. Les rapports sociaux transnationaux produisent des « modes d'existences » qui scellent notre « appartenance » à la globalisation.
Que la globalisation soit partie prenante de la formation de l'Etat suppose de situer l'une et l'autre dans leur historicité. La globalisation ne date pas d'hier. Si J.-F. Bayart situe son émergence au xixe siècle, théâtre de grands événements planétaires (la colonisation, les migrations internationales, les premières mobilisations humanitaires), les conquêtes ibériques du xvie siècle ont préparé le terrain. Ce, notamment en ouvrant le « champ historique transatlantique », articulé autour du commerce triangulaire entre l'Europe, l'Afrique et les Amériques. Le négoce transatlantique des esclaves a ainsi, montre J.-F. Bayart, structuré les caractéristiques de deux Etats situés de part et d'autre de l'océan. Aux Etats-Unis, « la guerre de Sécession a été le pivot de la formation de l'Etat », fondant l'unité du pays, en dépit d'une « rancoeur » persistante dans les Etats du Sud. Or, rappelle l'auteur, le conflit « a eu pour cause et enjeu immédiats les modalités de l'insertion de la Confédération (ou de l'Union) dans l'économie transatlantique, à savoir les problèmes du libre-échange avec la Grande-Bretagne et de l'extension de l'esclavage dans le Midwest ». La formation de l'Etat américain obéit donc à une logique d'extraversion. Il en est de même sur les côtes africaines, où la récente guerre civile angolaise peut se comprendre, très schématiquement, comme une lointaine résurgence de la traite des Noirs. Le conflit met en présence d'un côté les héritiers du royaume du Kongo qui fut un « acteur notable de la traite », de l'autre les descendants de populations mises en esclavage.