Vous dites du repas qu’il incarne l’acte politique par excellence. Pourquoi ?
Parce que la table et le politique s’entremêlent en permanence. L’alimentation est affaire de partage et de règles ; c’est un lieu où se définissent les amis et les ennemis. Les stocks alimentaires et le feu pour la cuisson ont probablement été les premiers biens communs de l’humanité. La politique est née par l’alimentation.
Quant au grand enjeu de notre époque, il n’est pas de coloniser l’espace, mais de savoir comment on va pouvoir nourrir 8 à 12 milliards d’humains. Pour cela, il faut redécouvrir ce que manger a pu vouloir dire dans le passé.
Nous sommes aujourd’hui à un carrefour : que mangera-t-on d’ici quelques décennies ? L’agriculture cellulaire est une des options : on pourrait fabriquer des aliments en prélevant des cellules souches, que l’on mettrait en culture pour fabriquer des aliments à volonté. Avec 150 vaches, on pourrait produire en théorie toute la quantité de viande aujourd’hui consommée sur la planète – si on a foi en ces promesses des biotechnologies…
Cette agriculture cellulaire est-elle sérieuse ?
Elle prendra de plus en plus d’importance à l’avenir. Au moment de la révolution bolchevique, on rêvait déjà d’alimentation synthétique sans en avoir les moyens techniques. Pour la première fois de l’histoire, nous allons peut-être pouvoir assouvir ce fantasme !
Depuis dix mille ans, il y a eu deux grandes ruptures dans l’histoire de l’humanité. La première, lorsqu’une infime minorité a pu s’approprier les stocks alimentaires. Cette étape marque le passage du Paléolithique au Néolithique. On abandonne la chasse-cueillette et on passe à l’agriculture-élevage. Apparaissent alors simultanément les religions et les inégalités économiques. Les puissants s’approprient les stocks alimentaires, et en retour doivent nourrir le peuple. En découlent énormément de conséquences. Par exemple, quand les premières grèves éclatent en Égypte antique, elles concernent le maintien de la livraison de la ration quotidienne de « painbière », terme symbolique qui rassemble en un seul mot ce qui est vital pour les gens.