La preuve par le zombie

Le zombisme est contagieux : après le roman,
 les écrans et les arts de la rue, le voilà qui infeste les traités de philosophie.

C’est une épidémie… Après la saga inaugurée par George Romero (La Nuit des morts vivants, 1968) et ses innombrables reprises, le cinéma gore, le cinéma tout court (The Road), les séries télévisées (Walking Dead, True Blood, Les Revenants), la BD (Zombie), les jeux vidéo (House of the Dead) et même le roman (La nuit a dévoré le monde) grouillent de goules et de zombies venus des quatre coins du monde. Mais ce n’est pas tout : le 13 octobre 2012, deux mille joyeux zombies, femmes et enfants compris, battaient le pavé parisien, laissant derrière eux des flaques de fausse hémoglobine. Les « défilés de zombies » (zombie walks), inventés en 2001 en Californie, ont aujourd'hui gagné de nombreuses capitales et des villes de province : une mode carnavalesque, mais pas seulement puisqu’à Mexico comme à New York, elle s’est introduite dans le cortège des indignés à la mode locale. Du coup, des sociologues s’interrogent : « De quoi le zombie est-il le nom ? », titrait Marion Cocquet, journaliste au Point, en décembre 2011. Suivaient les réponses de divers spécialistes fraîchement désignés : zombie = les pauvres, les réfugiés, les traders robotisés, les irradiés du nucléaire, etc. Maxime Coulombe, professeur d’histoire de l’art, consacre au phénomène un petit essai 1, d’où il appert que le zombie est une pince multiple, bonne à saisir la plupart des idées que se fait le citoyen sur lui-même : c’est l’homme traumatisé par la violence du monde moderne, c’est aussi le prédateur qui sommeille en chacun de nous, c’est aussi la victime d’un monde systémique où penser ne sert plus à grand-chose, et, enfin, c’est l’homme d’après l’apocalypse. L’écrivain haïtien René Depestre avait, souvenons-nous, nommé « zombification » l’état d’apathie des peuples dominés par la dictature.