L'esprit à l'âge des neurosciences

Difficile pour la philosophie d’étudier l’esprit en ignorant tout 
des neurosciences. En retour, les neurosciences ont bien du mal à déchiffrer la conscience ou la pensée. Comment rendre le dialogue possible et fécond ?

L’essor des neurosciences cognitives au cours des dernières décennies a révolutionné de fond en comble notre compréhension du cerveau humain. Le développement de l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) rend perceptible l’activité cérébrale, avec ses 100 milliards de neurones et ses 100 billions de synapses. Avec leurs visées impérialistes, les neurosciences cherchent à s’imposer dans la plupart des sciences humaines, où l’on voit naître toute une galaxie de sous-disciplines : neuroéconomie, neuroéthique, neuropsychanalyse, neuropédagogie, etc.

Malgré leur prétention, les neurosciences n’arrivent pourtant pas à conjurer la question philosophique centrale qu’elles soulèvent : celle de savoir si « cerveau » équivaut à « esprit », et, partant, si la conscience peut se comprendre selon un schéma entièrement naturaliste. Cette question remonte au moins à René Descartes, qui soutenait l’hypothèse dualiste que le corps et l’esprit appartiennent à des royaumes complètement distincts (sauf lorsqu’ils s’entrecroisent dans la glande pinéale). En 1949, le philosophe britannique Gilbert Ryle (La Notion d’esprit) baptise cette position le « mythe du fantôme dans la machine », espérant souligner ainsi les absurdités qu’elle implique.

L’avènement des neurosciences semble signer l’acte de décès des positions dualistes, réalisant enfin le programme de penseurs comme Julien de La Mettrie (L’Homme-Machine, 1748) ou Pierre Cabanis (la pensée ne serait qu’une sécrétion du cerveau). Mais certains philosophes soutiennent que les neurosciences ne font que reposer d’anciennes questions. Ainsi, le philosophe David Chalmers évoque, dès 1994, ce qu’il appelle le « problème difficile de la conscience » : comment expliquer qu’un organe composé d’éléments matériels rend possible quelque chose comme la conscience, avec tout ce qu’elle a de radicalement personnel et subjectif ?