Kant a-t-il inventé les sciences cognitives ?

La référence à Emmanuel Kant revient régulièrement 
dans les sciences cognitives contemporaines. Filiation réelle ou coquetterie rhétorique ? 


Les sciences cognitives sont-elles kantiennes ? Voici une question qui ne devrait pas préoccuper outre mesure le citoyen ordinaire.

Pourtant, elle devrait être considérée comme de la plus haute importance par ceux qui se préoccupent du fonctionnement de l’esprit humain. Car derrière cette question érudite s’en profile une autre plus fondamentale : les sciences cognitives ont-elles besoin de philosophie ? Et inversement…

Rappelons que dans sa Critique de la raison pure, Emmanuel Kant propose une théorie de la connaissance qui considère que notre esprit observe le monde à travers des catégories mentales préexistantes. Autrement dit, les faits observés (ou « phénomènes ») sont unifiés et réinterprétés dans le cadre de catégories de pensée qui donnent forme au réel. Parmi des catégories mentales « a priori » (c’est-à-dire préalables à l’expérience), il y a le temps (linéaire), l’espace (en trois dimensions), l’unité (qui unifie les images successives d’un objet en mouvement en un être unique), la causalité (qui interprète les relations entre un fait et un autre comme des relations de cause à effet)… Cette théorie est-elle confirmée par les sciences cognitives contemporaines ? C’est selon…

 

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Qu’est-ce que le « cognitif » ?

Les sciences cognitives désignent un groupe de disciplines (neurosciences, psychologie cognitive, intelligence artificielle, linguistique, philosophie de l’esprit) nées à la fin des années 1950.

Leur paradigme fondateur repose sur un modèle de l’esprit humain considéré comme un dispositif de « traitement de l’information » 1. En bref, l’esprit ne fait pas qu’enregistrer passivement les données de l’environnement mais il les « traite » dans des cadres (patterns) préétablis. Ainsi, la mémoire ne se contente pas d’enregistrer passivement les données, mais elle réorganise le passé en fonction de schémas cohérents implicites. La perception n’est pas une photographie du réel mais une « recomposition », réalisée via une série de modules cérébraux (forme, couleur, mouvements) qui reconstruisent une image plus ou moins fidèle de l’environnement. Le langage est fait d’un assemblage grammatical de concepts (homme, animal, oiseau, blanc) eux-mêmes composés de schèmes élémentaires (de temps, d’espace, de nombre, de formes) préétablis.