Sciences Humaines : Quelle est la spécificité de la science grecque ?
Il est vain de croirequ'avant les Grecs, les peuples baignaient dans une sorte de mentalité primitive faite de croyances et de mythes. L'anthropologie contemporaine le montre de mieux en mieux : toutes les cultures ont des connaissances étendues sur la nature, les plantes, les étoiles. Et ces connaissances sont soigneusement distinguées des mythes. Les Egyptiens ou Babyloniens avaient des connaissances poussées en astronomie, en botanique, en médecine ou en calcul. Mais dans la civilisation assyro-babylonienne, beaucoup de connaissances se présentaient sous une forme énumérative. On composait des listes selon un certain ordre mal assuré : listes de remèdes, de plantes, de maladies, de résultats mathématiques. Or, la science suppose un ensemble de connaissances ordonnées de façon méthodique et accompagnées de preuves raisonnées.
Dans les sciences de la nature, la preuve prend la forme de l'observation ; en mathématiques, celle de la démonstration.
Les Babyloniens ont trouvé nombre de résultats mathématiques, de techniques de calculs mais ils ne faisaient pas de démonstration.
La science grecque est une science démonstrative, mais elle n'est pas expérimentale. Le cas de Claude Ptolémée, qui a expérimenté en optique pour tenter de trouver les principes de réfraction de la lumière, est une exception.
La recherche de la preuve se retrouve dans les quatre domaines clés où s'est déployée la science grecque : 1) Les mathématiques pures (géométrie et arithmétique). 2) les mathématiques appliquées aux phénomènes naturels (astronomie, harmonie musicale, optique, mécanique, géographie au sens de mesure de la Terre). 3) Les sciences naturelles (la botanique et zoologie) qui sont des entreprises de classement des êtres vivants. 4) La médecine, à la fois science et art avec le corpus hérité d'Hippocrate.
Le tout a mis des siècles à se mettre en place, même s'il y a incontestablement un moment fondateur qui se situe au ve siècle avant J.-C.
Cédric Villani
Professeur à l’université Lyon-I et directeur de l’institut Henri-Poincaré, il a obtenu la médaille Fields de mathématique en 2010.
Maurice Caveing
Directeur de recherche honoraire au CNRS, auteur notamment de Irrationalité dans les mathématiques grecques, Presses universitaires du Septentrion, 1998.