La réalité de l'entreprise japonaise

On l'imagine volontiers comme une machine efficace, conformiste et homogène où règne l'emploi à vie pour les salariés bien intégrés. Mais, vue sous l'angle des femmes, des immigrés ou des jeunes diplômés, l'entreprise japonaise prend un autre visage.

On peut, à la suite de Hiroatsu Nohara 1, caractériser l'entreprise japonaise par quelques traits qui la différencient de l'entreprise européenne et américaine. A commencer par la mobilité du capital qui, très élevée aux Etats-Unis et plutôt forte en Europe, est faible au Japon. On sait que la mobilité des travailleurs est élevée outre-Atlantique, plutôt faible sur l'Ancien Continent, mais encore plus basse au Japon, avec le célèbre système de l'emploi à vie, sur lequel il faudra revenir.

L'économie nippone s'appuie sur toutes les ressources de la micro-organisation. On observe, en effet, dans l'Archipel une certaine inertie des mécanismes du marché, une coalition des salariés et des managers pour défendre les intérêts de l'entreprise, un syndicalisme d'entreprise. La stratégie à long terme est favorisée ainsi qu'une préférence affirmée pour la croissance interne, une adaptation progressive de l'organisation interne, accompagnée d'innovations technologiques par petites étapes.

En fait, au Japon, comme ailleurs, les entreprises sont complexes et variées. Il en existe une multitude de familiales et de sous-traitantes dépendant de grands groupes avec lesquels le rapport capital-travail prend des formes diversifiées à l'infini. C'est ici que l'approche par des catégories de population est éclairante. D'abord, le système de l'emploi à vie est loin de s'appliquer à l'ensemble de la population active. C'est en réalité un système réservé aux grandes firmes qui recrutent les meilleurs éléments des meilleures universités du pays et les gardent pendant leur période la plus productive, c'est-à-dire en général jusqu'à 55ans. Elles leurs octroient des salaires élevés en contrepartie d'une fidélité indéfectible de journées et de semaines de travail particulièrement longues. Par ailleurs, ces cadres terminent leur carrière dans des conditions de rémunération et d'avantages sociaux nettement inférieurs. La presque totalité des femmes sont exclues de ce système. Il en va de même pour une partie importante de la population active masculine qui travaille dans les entreprises sous-traitantes.

Le premier clivage important est donc celui qui existe entre les salariés « à vie » des grandes entreprises et ceux des entreprises sous-traitantes. C'est d'ailleurs dans ces dernières que travaillent les étrangers, en faible nombre comparé à l'Europe. On en comptait officiellement, en 1993, 1,3 million dont 680 000 Coréens, 210 000 Chinois, 165 000 Brésiliens, 75 000 Philippins et 43 000 Américains des Etats-Unis auxquels il faut ajouter quelque 300 000 personnes en situation irrégulière.

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Les étrangers représentent un peu plus de 1 % de la population (contre 8 % en Allemagne et 6,5 % en France). Néanmoins, le problème de cette présence étrangère se pose avec acuité. Le Japon était un pays d'émigration jusqu'en 1945, période où la tendance a commencé à s'inverser. Avec des écarts de salaire allant de un à dix, la prospérité économique a fait apparaître le Japon comme un nouvel Eldorado attirant de nombreux asiatiques dans le pays juste à l'époque où la main-d'oeuvre non qualifiée faisait défaut. Ils sont venus travailler sur les chantiers de construction, dans les PME ou dans les services. De nombreuses jeunes Philippines ou Thaïlandaises ont été embauchées dans les circuits mafieux du commerce des loisirs.