Entretien avec Catherine Negroni

«La reconversion est un scénario en cinq actes»

En tant que sociologue, pourquoi vous êtes-vous intéressée aux reconversions professionnelles volontaires ?

Il y a un peu plus de dix ans, quand j’ai commencé cette enquête, il n’existait aucun travail sociologique sur ce sujet. L’expression même de « reconversion professionnelle volontaire » ne semblait pas être entrée dans le champ social. On parlait alors seulement de « reconversion industrielle », le salarié subissant nécessairement les ruptures professionnelles. Je me suis intéressée d’abord plus spécifiquement aux « sorties de salariat », aux personnes qui décident de ne plus être des salariés… Elles déclaraient mener une recherche personnelle ; elles souhaitaient concilier travail et satisfaction, vie professionnelle et vie privée. De nouvelles valeurs semblaient émerger dans la société. L’expérience de la reconversion s’est construite à l’interface du chômage, qui devenait une potentialité susceptible d’intervenir dans tous les parcours, et d’une plus forte injonction sociale à l’épanouissement. Aussi de plus en plus d’individus confrontés à cette double incitation prenaient le risque de la reconversion. En ce sens, la multiplication des reconversions professionnelles volontaires me semble constituer un indicateur intéressant pour comprendre les mutations sociétales en cours.

Les frontières entre métiers et univers sociaux sont aujourd’hui plus souples. A priori, chacun peut donc changer de vie. Mais en réalité, la reconversion professionnelle volontaire constitue une prise de risque énorme. C’est une entreprise coûteuse, à la fois sur le plan affectif, psychologique et matériel. Une reconversion professionnelle ratée peut déboucher sur des situations de travail profondément insécures. En même temps, elle initie des fractures dans l’espace privé. La reconversion suppose donc un vrai travail sur soi, et un véritable engagement de l’individu dans son projet, sans quoi les individus finissent par se perdre au lieu de se réaliser.