Vue d’Occident, la Chine est restée longtemps un « empire immobile » figé dans le temps et la tradition 1. Fernand Braudel attribuait les raisons de cet « immobilisme culturel » à la fois à la religion, tournée vers le culte des ancêtres, et aux structures sociales : le pouvoir impérial, la famille traditionnelle et la caste des mandarins lettrés, agents du conservatisme 2.
Un homme a fait pourtant voler en éclat cette vision des choses. Son nom : Joseph Needham. Dans une œuvre monumentale consacrée aux sciences et techniques chinoises anciennes, il montre que la Chine n’était pas un pays immobile, fermé aux innovations techniques et aux découvertes scientifiques. Bien au contraire, dans de nombreux domaines, elle a même précédé l’Occident.
Rien ne prédisposait J. Needham (1900-1995) à devenir historien des sciences chinoises. Mais une histoire d’amour fait bifurquer la carrière de ce biochimiste réputé de l’université de Cambridge. En 1936, le chercheur tombe amoureux de Lu, une jeune Chinoise venue étudier dans la prestigieuse université. J. Needham était marié, Lu devient sa maîtresse. Elle lui fait découvrir la civilisation chinoise, son histoire, sa langue. Pour satisfaire sa double passion, pour Lu et pour la Chine, J. Needham prend la direction du Bureau de coopération scientifique sino-britannique, ce qui l’amène à faire de nombreux voyages d’étude en Chine, en compagnie de sa bien-aimée. Au cours de ses visites, il commence à rassembler une documentation sur l’histoire des sciences chinoises. À Cambridge, il monte une équipe de recherche consacrée à l’histoire des sciences et techniques en Chine. Il y consacrera le reste de sa carrière universitaire. À partir de 1954, il lance la publication d’une monumentale encyclopédie, intitulée Science et civilisation en Chine 3. En 1989, Joseph a 89 ans. Deux ans après la mort de sa femme, il épouse Lu, sa concubine à laquelle il est resté fidèle.
Les quatre grandes innovations
Dans Science et civilisation en Chine, J. Needham propose une synthèse de ce que l’Occident doit à la Chine : le soufflet à piston, la brouette, le harnais à collier, l’arbalète, la fonte, l’écluse de canal, le gouvernail axial (dit d’étambot), etc. Mais ce sont surtout quatre innovations fondamentales qui vont changer le cours de l’histoire occidentale : la boussole, le papier, la poudre à canon et l’imprimerie.