La terre promise des évangéliques

Partout dans le monde, les Églises évangéliques et pentecôtistes progressent. Mais c’est en Afrique, dans l’émotion et la transe, que le phénomène est le plus visible.

1578922426_EVANGELIQUES.png

La situation religieuse de l’Afrique s’est longtemps résumée à une concurrence binaire : entre un christianisme implanté depuis les vagues de colonisation portugaise, française, britannique, italienne ; et un islam enraciné de longue date dans des pays comme le Sénégal, le Mali, le Nigeria, le Nord-Cameroun, la Côte d’Ivoire ou le Burkina. Un islam en progression, travaillé par des courants extrémistes, au Sahel notamment, devenu terre de conquête du djihad ; toutefois un islam modéré, de type soufi par exemple au Sénégal, résiste également. Pour sa part, le christianisme a depuis longtemps fait la critique de son modèle « missionnaire » européen. Il reste actif dans l’éducation, la santé, la résolution des conflits (Congo, Burundi), les luttes de solidarité et de justice dans les pays de dictature, et la défense des droits de l’homme.

Dans des sociétés dominées par l’insécurité, la violence, les guerres, les menaces de pandémie, le manque de subsistance, on aurait tort d’oublier le poids rassurant des « religions » traditionnelles. Dans les villes africaines, les enseignes de marabouts et de féticheurs fleurissent à chaque coin de rue. Dans les villages, des lieux sacrés sont vénérés, comme ces arbres où, pour se protéger des mauvais esprits, on vient déposer des offrandes : volailles, œufs, ignames, moutons, bananes écrasées. Dès qu’un malheur frappe – un deuil, une maladie, un accident –, que l’on soit chrétien ou musulman, on va consulter le marabout. Car en Afrique la maladie n’est jamais le fruit du hasard. Le marabout désigne un responsable et exige une mise à l’épreuve. L’urbanisation et le développement n’ont pas vraiment changé la situation.

Une poussée spectaculaire

Ces dernières décennies, une nouvelle composante bouscule la carte religieuse du continent, plus mobile qu’on ne le croyait : la poussée spectaculaire – comme dans le reste du monde – du christianisme évangélique et pentecôtiste. On estime à 165 millions le nombre des évangéliques en Afrique. Soit 15 % de la population, et le quart du total mondial des évangéliques (650 millions). Cette poussée est inégalement répartie, mais le Kenya, l’Afrique du Sud, la République démocratique du Congo et le Nigeria en sont les principaux moteurs. Par son poids démographique, un maillage territorial de plus en plus serré, un prosélytisme ardent et des méthodes parfois contestables, cette mouvance évangélique donne le signal à une recomposition religieuse du continent noir, qui influe sur son devenir social et politique.

publicité

Des évangéliques, on connaît le poids de la droite religieuse américaine qui a conduit George W. Bush et Donald Trump à la Maison-Blanche. Mais on aurait tort d’en déduire que la percée évangélique en Afrique est d’abord le fruit du prosélytisme de « missions » anglo-saxonnes. Un évangélisme « historique » proprement africain le précède, de nature prophétique et syncrétique, sorte de « mix » de protestantisme et de coutumes locales intégrant les visions, les rêves, le culte des ancêtres, la lutte contre les envoûtements. Des Églises indépendantes, dites « afro-chrétiennes », sont nées dès le début du siècle dernier, fondées par des pasteurs africains dans les colonies anglaises comme le Liberia. Puis elles se sont étendues, entre les deux guerres, au Ghana, au Nigeria, avant d’essaimer dans les pays francophones voisins comme la Côte d’Ivoire, le Bénin ou le Togo.