Pour expliquer la création de sens, le psychosociologue américain Karl Emmanuel Weick s’est intéressé aux situations de catastrophes en étudiant, entre autres, l’accident de Challenger et l’accident mortel d’une équipe de pompiers lors d’une intervention. Dans ces travaux, K.E. Weick a recherché ce qui bloque un fonctionnement et peut conduire à une catastrophe. Dans son article sur la catastrophe des pompiers de Mann Gulch, il s’intéresse aux conditions et situations qui conduisent à la perte de sens et montre comment des pompiers, confrontés à une situation nouvelle et imprévue, vont paniquer et perdre tous les repères leur permettant de se coordonner. Qu’est-ce qui explique, à un moment donné, que la « machine » se bloque de telle manière que l’action devienne impossible ? L’incapacité d’une organisation à expliquer et gérer l’inconnu conduit ses principaux participants à se replier sur eux-mêmes et à envisager leur survie individuelle au détriment de l’intérêt collectif. La gestion de l’inconnu constitue pourtant le meilleur moyen de construire un sens nouveau, d’où émergeront des solutions innovantes. Pour que le changement ne conduise pas à un effondrement de sens, il faut alors s’assurer que des moyens permettant de le reconstruire sont toujours opérationnels (principe de la résilience des organisations). K.E. Weick identifie quatre sources de résilience des organisations :
• « l’improvisation et le bricolage » : ne pas se replier sur les réponses habituelles même sous la pression ;
• les systèmes de rôles virtuels : le système de rôles, même lorsqu’il n’est plus opérationnel dans la réalité, demeure intact dans l’esprit des individus ;
• la sagesse comme attitude : savoir être curieux, ouvert, aborder de nouveaux domaines complexes, savoir douter de ses connaissances ;
• l’interaction respectueuse : la confiance, l’honnêteté et le respect de soi.
Pour K.E. Weick, ces pistes d’action sont réelles et opérationnelles si l’organisation offre à ses salariés les trois sources de sens que sont la culture, la stratégie et la structure. La culture est prise au sens de « valeurs reconnues ». Elle produit des repères idéologiques, philosophiques ou de valorisation sociale : « Je suis dans une entreprise humaniste, internationale, coopérative… » La stratégie est un discours prévisionnel qui conditionne les contrats de chacun. Elle apporte une lisibilité sur les décisions, mais également sur la contribution des acteurs qui participent au système d’action collectif. Comme l’illustre K.E. Weick avec l’anecdote des militaires qui utilisent une carte des Pyrénées pour se diriger dans les Alpes, les individus ont besoin de visualiser un chemin qui va leur permettre de réaliser les objectifs qu’ils se sont fixés. La structure formelle est un cadre qui valide, codifie et institutionnalise les rôles, règles, procédures, activités configurées et relations d’autorité donnant les clés de la signification.
La théorie du sensemaking
Comment les individus donnent-t-ils du sens à leur activité ? Et comment les organisations parviennent-elles ou non à construire du sens ? Telles sont les questions auxquelles Karl E. Weick a cherché à répondre avec sa théorie du « sensemaking ».