La transformation de la guerre

Martin Van Creveld,Editions du Rocher, 1998, 318 p., 165 F.

Le monde de l'après guerre froide est incertain. En conséquence, on assiste depuis quelques années à des débats intenses sur la nature des menaces potentielles contre les Etats occidentaux et sur les stratégies militaires à adopter. De nombreux ouvrages ou numéros spéciaux paraissent et le rythme ne se relâche pas. Trois voies d'interprétation principales de l'organisation ou de la désorganisation du monde se sont dégagées depuis dix ans. Une première tendance estime que la constitution d'un monde politiquement unifié est en cours, tant par l'effet de la mondialisation que par la généralisation des aspirations démocratiques. Une deuxième approche estime que, du point de vue de la puissance militaire, le monde se polarisera en quelques ensembles régionaux dans lesquels le Japon, la Chine ou la Russie joueront un rôle capital. Une troisième tendance prévoit la généralisation des guerres civiles, ethniques, religieuses ou nationales, en même temps qu'une décomposition interne des Etats sous l'effet du terrorisme ou de dérives mafieuses. Peu d'analystes défendent exclusivement l'un de ces trois points de vue.

C'est cependant le cas de l'historien Martin Van Creveld, professeur à l'université de Jérusalem, qui soutient depuis le début des années 90 la thèse de la généralisation des guerres civiles, actes terroristes et autres conflits dits « de basse intensité ». Ses travaux, reconnus internationalement, ont initié un vaste courant de réflexion. Dans La Transformation de la guerre, l'auteur s'oppose à la pensée stratégique dominante, issue de la pensée que Carl von Clausewitz a formulée au début du xixe siècle. M. Van Creveld rappelle que, pour ce dernier, la guerre serait une violence organisée, engagée par l'Etat, pour l'Etat et contre un autre Etat. De plus, pour le général prussien, la guerre devait engager la totalité des forces des adversaires. M. Van Creveld estime que cette doctrine a eu des conséquences considérables. En effet, les armées au service strict de l'Etat-nation souverain ne cessèrent en Europe de gonfler, au nom de l'efficacité et de l'intérêt politique. Cette conception, reprise par les stratèges et par les hommes politiques, a abouti aux paroxysmes de la Première et de la Seconde Guerre mondiale. Elle a généré la forme et les objectifs des forces armées contemporaines : primat des intérêts politiques de l'Etat (intégrité territoriale et souveraineté) ; volonté de séparation des civils et des militaires ; engagement total lors d'un conflit. Prenant les exemples du Viêt-nam pour les Etats-Unis, de l'Afghanistan pour la Russie, du Liban pour Israël ou de l'Algérie pour la France, M. Van Creveld montre que les armées fondées sur ces principes ne sont pas adaptées à d'autres formes de combat que celles définies dans le cadre étatique européen puis mondial qui s'est généralisé du xviiie au xxe siècle. Son argument est que cette forme de guerre entre armées n'est pas « la » guerre, mais bien une forme historiquement minoritaire de conflit : en effet, même en Europe à l'apogée des guerres étatiques, la guerre ne se définissait pas par la poursuite de buts politiques, ni par l'engagement total des forces de la communauté, ni par l'existence de forces armées séparées du corps social dans son ensemble.