Rencontre avec Peter Hall

La variété des capitalismes

Depuis le milieu des années 80, Peter Hall contribue au renouvellement de l'économie politique. Dans son dernier ouvrage, codirigé avec David Soskice, il montre la persistance de « variétés de capitalismes », même à l'heure de la globalisation.

Au début des années 70, Peter Hall poursuivait des études en sciences économiques et en sciences politiques à l'université de Toronto. Finalement, il se découvre un intérêt pour la philosophie politique, qu'il entreprend d'étudier à la prestigieuse université d'Oxford puis à Harvard, après une année passée à écrire des discours pour des hommes politiques, à Ottawa. « Progressivement, je devais me rendre compte que c'est l'application de la théorie à l'histoire qui me ravissait le plus. Or, à Harvard, ce sont les européanistes - Stanley Hoffmann, Samuel Beer et leurs élèves, Suzanne Berger et Peter Lange - qui s'y adonnaient le mieux. Aussi, quelques semaines avant les examens généraux, je laissais de côté la pensée politique de l'Antiquité et du Moyen Age pour me consacrer aux politiques européennes dont j'avais eu un aperçu à Oxford. Je ne devais plus faire chemin arrière. »

De fait, sa thèse de doctorat, P. Hall la consacra à l'étude de l'élaboration de la politique macroéconomique en Grande-Bretagne de 1970 à 1979, en s'attachant à retracer le déclin du keynésianisme et la montée des idées monétaristes incarnées par la politique de Margaret Thatcher. Au même moment, il commença à publier des essais d'étude comparée de l'Angleterre et de la France, qui devait déboucher sur son premier ouvrage Governing the Economic: The politics of State intervention in Britain and France, en 1986. Quoiqu'ancien étudiant de la prestigieuse université de Harvard, P. Hall n'avait jamais pensé pouvoir y enseigner un jour. « J'avais accumulé pas mal de livres, dans l'éventualité d'une affectation dans une université canadienne dont la bibliothèque serait insuffisamment pourvue. A ma grande surprise, Harvard m'offrit un poste d'assistant puis, sept ans plus tard, de professeur titulaire. »

Sous son apparence alambiquée, le parcours de P. Hall éclaire l'originalité de son apport à la longue tradition de l'économie politique : l'accent mis sur le rôle des institutions- mais aussi les idées dans les transformations des sociétés et le fonctionnement de l'économie de marché sans oublier une attention particulière à l'approche comparée et historique pour rendre compte des spécificités nationales et de leur survivance. Son dernier ouvrage, codirigé avec David Soskice, défend d'ailleurs la thèse de la persistance de « variétés de capitalisme », même à l'heure de la globalisation.

Sciences Humaines : En 2001, vous avez codirigé avec David Soskice un ouvrage remarqué sur les « variétés du capitalisme ». Vous y réfutez une idée largement répandue selon laquelle on assisterait à une convergence des capitalismes nationaux. Sur quels constats vous fondez-vous ?

Peter Hall : Beaucoup de ceux qui pensent que les économies nationales convergent vers un modèle unique croient que le moteur de l'économie mondiale est la compétition internationale entre les entreprises. Ils supposent généralement qu'il n'existe qu'un seul modèle de capitalisme dans lequel celles-ci peuvent produire des biens le plus efficacement, que la compétition internationale forcera ces entreprises à adopter ce modèle du fait de l'abaissement des barrières douanières et que les managers n'ont de cesse de faire pression sur les gouvernements pour qu'ils dérégulent. Certes les syndicats résistent mais, disent-ils, dans une position affaiblie, les entreprises pouvant désormais délocaliser à leur guise. La plupart de ces analyses associent la compétitivité à des coûts de travail moindres. Elles postulent par ailleurs que c'est la globalisation qui apporte la dérégulation.

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Avec D. Soskice, je pense que ce type d'assertion est fausse. Dans de nombreux secteurs, il y a bien plus qu'une manière de produire des biens ou des services efficacement. Bien que la compétitivité de certaines entreprises repose sur de faibles coûts de travail, d'autres entreprises peuvent atteindre des niveaux équivalent de compétitivité avec une main-d'oeuvre hautement qualifiée et la collaboration avec d'autres entreprises. Mais les hauts niveaux de compétence et de coopération requièrent un environnement réglementaire favorable. Des entreprises qui s'appuient sur ces hauts niveaux de compétence ont toutes chances de se trouver dans des nations qui offrent un tel environnement. Par conséquent, nous pensons que les pressions exercées par les milieux d'affaires sur les gouvernements pour obtenir une dérégulation variera selon les nations. Là où des régulations incitatives permettent à des entreprises de prospérer en cultivant des relations étroites avec leurs employés et d'autres entreprises, comme en Allemagne par exemple, la plupart des entreprises ne réclameront pas de dérégulation. Elles peuvent même s'associer aux syndicats dans des coalitions « transclasses » pour préserver les régulations qui soutiennent le développement des compétences et des relations de coopération au sein et entre les entreprises. Là où la compétitivité des entreprises dépend de bas salaires, comme c'est souvent le cas en Angleterre, elles seront enclines à exercer de fortes pressions pour obtenir une dérégulation plus poussée. En bref, la compétitivité internationale accrue imputée à la globalisation suscite et suscitera des réponses variées dans différents pays. Chaque nation ajustera ses régulations, sans pour autant converger vers un seul et même modèle.