La violence. Une question de normes

La perception de la violence change d'une société et d'une époque à l'autre. Autrefois ignorés ou tolérés, des actes ou des comportements deviennent insupportables. Dans les sociétés modernes, le poids des images et la surinformation influent sur le changement d'appréhension de la violence.

Meurtres, tortures, agressions, massacres, guerres, oppression, criminalité, terrorisme... La liste des phénomènes de violence paraît illimitée. En un sens, il n'y a rien de plus évident que la violence. Pourtant, dès que l'on commence à réfléchir, les choses apparaissent moins simples. A commencer par les définitions.

D'un côté, le terme « violence » désigne des faits et des actions, tout ce que nous avons l'habitude d'appeler communément des violences ; de l'autre, il qualifie une manière d'être de la force, du sentiment ou d'un élément naturel - qu'il s'agisse d'une passion ou de la nature.

L'étymologie confirme ces intuitions : « violence » vient du latin violentia qui veut dire violence, caractère violent ou farouche, force. Le verbe violare signifie traiter avec violence, profaner, transgresser, en insistant sur l'infraction et l'outrage. Ces termes renvoient à vis qui veut dire force, vigueur, puissance, violence, emploi de la force physique, mais aussi quantité, abondance, essence ou caractère essentiel d'une chose. Plus profondément, vis signifie la force en action, la ressource d'un corps pour exercer sa force, et donc la puissance, la valeur, la force vitale.

Au coeur de la notion de violence se trouve donc l'idée d'une force, d'une puissance naturelle dont l'exercice contre quelque chose ou quelqu'un fait le caractère violent : la force devient violence lorsqu'elle dépasse la mesure ou perturbe un ordre.

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Nous touchons là l'essence du problème : pour définir la violence, nous devons tenir compte des normes qui nous font voir comme violentes ou non certaines actions et situations. Ces normes, ou en tout cas un certain nombre d'entre elles, varient historiquement et culturellement. Certes, nous nous accordons tous, ou presque, pour considérer certains faits (la torture, le meurtre, les coups) comme violents - encore que, dès qu'il s'agit de la sanction pénale, les pires violences semblent redevenir tolérables, par exemple griller maladroitement et sans anesthésie un individu sur une chaise électrique.

En revanche, d'autres formes de violence sont plus ou moins reconnues selon les normes admises. La violence domestique envers les femmes ou les enfants a été longtemps considérée comme normale - et donc, quasiment invisible. Ce n'est plus le cas et nous avons « découvert » à travers les affaires de pédophilie, d'inceste, ou bien avec les violences entre conjoints, l'énorme quantité de violence qui circule dans la cellule familiale. De même, le fait de ne pas avoir de domicile, d'être sans abri, clochard, vagabond, cheminot (homme des chemins), a été longtemps considéré comme un état normal, quand ne se greffait pas là-dessus un folklore sympathique (le clochard libre ou le vagabond poète).

La sensibilité à la violence est, en fait, très variable. Dans certaines populations marginales, il est « normal » d'être régulièrement emprisonné pour des larcins mineurs ou d'être saisi par l'huissier. La plupart des sociétés comportent des sous-groupes, dont le niveau de violence est sans commune mesure avec celui de la société ou, du moins, avec les évaluations communes qui y prédominent : tel est le cas des groupes militaires, des gangs de jeunes ou des équipes sportives.

Les codifications du droit

Cette relation indissociable entre violence et norme est particulièrement évidente quand on aborde la question du point de vue du droit. Les juristes parlent très peu de violence, catégorie à leurs yeux trop vague et fourre-tout. Ils élaborent plutôt des définitions précises des actes à incriminer de manière à les rendre identifiables, à en évaluer le caractère nocif et les dommages, et à proportionner ensuite les peines.

C'est ainsi qu'en droit pénal, on distingue l'homicide volontaire ou involontaire, avec circonstances aggravantes ou atténuantes, le viol, les coups et blessures, les actes de barbarie, la mise en danger d'autrui, etc.

Ce que nous appelons habituellement violence est pris en considération dans les articles 309, 310 et 311 du Code pénal sous la rubrique « coups, violences et voies de fait », qui implique l'emploi de la force physique suivi d'atteintes physiques durables. L'évolution du droit pénal est allée dans le sens de l'extension de l'incrimination, ce qui témoigne de la sensibilité croissante à la violence. Aux coups qui entraînent des lésions se sont ajoutés des aspects internes (maladies provoquées, atteintes physiques) n'exigeant pas de violence exercée sur le corps même de la victime. C'est la raison pour laquelle la notion de voies de fait a remplacé la catégorie plus ancienne de coups et blessures.

L'importance de l'accord sur des normes au sein d'un groupe est encore visible à ceci que la loi autorise (ou tolère) certaines violences, dans le domaine du sport (la boxe par exemple), ou encore en matière d'actes chirurgicaux - mais ce n'est pas forcément l'avis de tout le monde. Certains trouvent le rugby ou le football violents et la boxe barbare ; des accidents de sport ont fait l'objet de poursuites devant les tribunaux lorsque la brutalité avait été excessive. Quant à la chirurgie, les témoins de Jéhovah la considèrent eux, comme une violence faite au corps.

Actes de violence, situations de violence

Nous n'avons parlé jusqu'ici que de notre perception de la violence et de son traitement social, ou, pour être plus précis, de son traitement social à travers le droit. Mais la violence fait aussi l'objet d'approches sociologiques et psychologiques qui relèvent à la fois de la connaissance, du traitement pratique et de l'action. Ici, de nouveau, les questions de normes se posent avec acuité.