En cette fin des années 2010, le lac Tchad et ses rives paraissent en crise. L’urgence climatique tout d’abord. Le lac semble se réduire comme peau de chagrin. Entre réchauffement des températures et prélèvements humains pour l’agriculture et l’élevage, il rétrécit depuis des années. Ce phénomène attire l’attention des bailleurs de fonds sur la région. Ceux-ci rivalisent de grands projets plus ou moins réalistes qui ne verront sans doute jamais le jour. Or, si le réchauffement climatique est bien réel, à y regarder de plus près, la situation est plus complexe : le lac Tchad connaît des cycles pendant lesquels sa taille varie fortement. Il ne disparaît donc pas. En revanche, nul doute : les populations riveraines, elles, souffrent.
Elles souffrent parce qu’elles sont prises dans un engrenage de violence depuis plus d’une dizaine d’années. Qui en France n’a pas entendu parler de Boko Haram ? Devenus symboles de la barbarie, ses combattants tuent, pillent, violent et terrorisent toute la région. En enlevant 276 lycéennes dans le village de Chibok le 14 avril 2014, le groupe a atteint une renommée internationale grâce à la campagne #BringBackOurGirls soutenue par des personnalités comme Michelle Obama. L’emballement médiatique a fait monter les enchères et Boko Haram est devenu un monstre médiatique, révélateur d’une histoire commune à de nombreuses régions du continent, où de véritables tragédies humaines sont décuplées par le miroir déformant du reste du monde sur l’Afrique.
Né dans la région du Borno, Boko Haram est au départ un groupe musulman dissident comme tant d’autres dans le nord du Nigeria. Des dissidences religieuses de ce genre existent depuis le 19e siècle au moins, et il y a fort à parier que d’autres existaient auparavant. La question religieuse, qui paraît primordiale vue d’Europe, n’est qu’une composante parmi d’autres à en croire la diversité des profils des membres de Boko Haram. À ceux qui prévoient un avenir africain dominé par le fanatisme religieux, il est possible de montrer l’ancienneté de ces revendications, mais aussi la variété des facteurs qui poussent les individus à rejoindre les rangs de groupes radicaux.
Assurément, certaines et certains sont attirés dans Boko Haram par le message salafiste de retour aux racines de l’islam pur. Ils veulent instaurer un État islamique qui appliquerait la charia au civil comme au pénal. Mais d’autres sont tentés par le message révolutionnaire ou tout du moins égalitaire de Boko Haram, qui entend se battre contre la corruption et la violence de l’État nigérian. L’appât du gain semble aussi être l’une des motivations de certains combattants, parfois d’anciens « coupeurs de route » (brigands) du Cameroun. En d’autres termes, il est difficile de trouver une seule et unique cause pour expliquer le succès de Boko Haram. Si le groupe et ses subdivisions actuelles sont devenus ce qu’ils sont aujourd’hui, c’est que plusieurs facteurs se sont agrégés.