Le bonheur est-il dans le pré ?

Leurs parents partaient élever des chèvres dans le Larzac ; eux ouvrent en famille des boulangeries bio dans des bourgs ruraux. Si le désir de campagne, né dans le sillage de Mai 68, connaît un regain important, le profil des néoruraux et les contours de leurs projets ont évolué.

La société française est aujourd’hui marquée par l’expression forte d’un « désir de campagne » qui conjugue l’envie d’échapper à la frénésie de la vie urbaine, le désir de se « reconnecter à la nature » et une angoisse écologique renforcée d’année en année par des à-coups climatiques inédits. Des expériences placées sous le signe de la « rupture » et du « changement de vie » suscitent une fascination qu’entretiennent les magazines et autres documentaires, prompts à décrire des bifurcations spectaculaires : la reconversion de la DRH devenue apicultrice et de l’informaticien, boulanger à l’ancienne. C’est aussi l’histoire des élèves de grandes écoles rompant avec le destin social que leur diplôme leur promet pour se mettre au service des espaces ruraux délaissés ; de familles de cadres catholiques quittant la ville pour conformer leur mode de vie à l’« écologie intégrale » dont l’encyclique pontificale Laudato Si a dessiné l’horizon ; du succès de néoartisans et de néoagriculteurs coopérant pour revitaliser une commune rurale. Une constellation utopique se dessine, des expériences les plus soft optant pour un mode de vie apaisé en marge du bruit du monde aux engagements plus radicaux, portés par le projet d’écrire, hic et nunc, un scénario alternatif à la destruction systématique des écosystèmes induite par le productivisme néolibéral. Le lien qui unit ces tentatives disparates demeure celui d’un « retour à la nature », parfois associé au rêve de revitaliser une sociabilité rurale disloquée.

Ce rêve de campagne n’est pas tombé du ciel avec la prise de conscience récente de l’urgence climatique : les expérimentations concrètes menées dans ce sens font écho aux expériences des néoruraux des années 1970-1980, installés dans les régions désertifiées du sud de la France, avec le projet d’anticiper en communauté le changement radical du monde qu’ils avaient entrevu en mai 1968. Si beaucoup de ces expériences ne survécurent pas à la rudesse d’un hiver cévenol ou ariégeois, un certain nombre de ces immigrants de l’utopie s’implantèrent durablement dans ces territoires vidés de leur population agricole traditionnelle, mais dans lesquels les politiques de préservation des espaces naturels et d’aménagement rural offraient des opportunités d’installation inédites et parfois subventionnées.