Le Coran n’est pas le seul livre que les adeptes d’une grande religion humaine considèrent comme possédant un statut spécifique, sacral, d’origine divine. Loin s’en faut. Sans même parler du Véda des hindous ou de l’Avesta zoroastrien, la Bible se présente comme la compilation d’histoires et de textes directement inspirés par Dieu, notamment à travers la voix de ses prophètes. Chez les chrétiens, sans avoir exactement la même valeur, le statut de la Bible (dite « Ancien Testament ») est identique, avec cette différence de taille que les Évangiles (« Nouveau Testament »), relatant les faits et les paroles de Jésus, Fils de Dieu, viennent « accomplir » les écritures hébraïques.
Parmi les textes saints, la spécificité du Coran tient, pour la majorité de la communauté musulmane, dans la croyance selon laquelle le texte saint, prophétisé par Mahomet, est la Parole « incréée » de Dieu, « descendue » sur le Prophète tout au long de son apostolat. Il ne s’agit plus alors d’un livre « inspiré » mais « dicté ». En somme, le Coran occupe approximativement pour l’islam la nature et le rôle que Jésus, Verbe de Dieu et Dieu lui-même, occupe dans le christianisme. On comprend dès lors que le Coran soit communément considéré par les théologiens musulmans comme un « attribut » de Dieu, consubstantiel à Lui. Soulignons que, pour résoudre la difficulté à articuler cette nature divine du texte saint et sa réalité graphique (donc matérielle) et historique (car l’apostolat de Mahomet a une histoire et le Coran répond aussi à des événements précis de son époque), le courant rationaliste, dit mu‘tazilite, qui représenta même l’orthodoxie musulmane pendant une vingtaine d’années au 9e siècle, recourut à la notion de « Coran créé ». Notion répulsive pour le croyant commun d’aujourd’hui mais qui, après avoir apparemment disparu pendant plusieurs siècles, semble faire retour chez les penseurs réformistes contemporains.
D’énigme en découvertes
Si l’on demande à un islamologue occidental qui est l’auteur du Coran, le chercheur ne pourra que rester coi – sauf à répéter la vulgate musulmane. Mais si on lui demande qui a mis par écrit le Coran, il pourra ébaucher quelques réponses. Tournons-nous donc vers la question de la rédaction du Coran. Nous rencontrerons une réponse officielle et… de nombreuses énigmes. Pour la tradition, à la mort du Prophète, le Coran n’avait qu’une existence orale : à peine s’il existait des fragments épars notés sur des matériaux de fortune, le reste étant mémorisé en partie ou en totalité par de pieux disciples. Ce serait sous le troisième successeur de Mahomet, le calife ‘Uthmân, que, par crainte de voir la communauté diverger à propos du texte saint (car certains musulmans s’étaient constitué des recensions personnelles des révélations prophétiques), on se serait préoccupé d’en fournir une version canonique, tâche supervisée par l’un des secrétaires du Prophète. Une fois cette version établie, on en aurait envoyé des copies dans les grandes villes de l’empire. Et l’on aurait détruit les versions non concordantes.