Le déclin calculable de l'amour conjugal

L’habitude tue le désir, dit-on. De ce constat banal, le docteur Chien Liu a fait le lieu d’un conflit d’intérêts : le sexe est-il un bien que l’on consomme ou un capital que l’on acquiert ?

Le transfert au domaine du sexe des beautés du calcul des profits et pertes ne va pas de soi. Il donne lieu à de vives, mais fort théoriques, discussions sur la capacité des acteurs humains à se montrer insensibles en toutes circonstances à des biais affectifs, ou tout simplement irrationnels. Reste que la science même d’où proviennent les modèles de rationalité que l’on applique à la vie quotidienne – l’économie des biens et des services – n’est en réalité ni simple ni exempte de contradictions. Pourquoi en irait-il autrement en matière de sexe ?

 

La baisse de la fréquence sexuelle, pourquoi ?

Le docteur Chien Liu, par exemple, du Wagner College de New York, s’intéresse depuis bientôt dix ans à la sexualité conjugale, et aux raisons possibles de sa médiocre résistance au temps. Bien avant lui, des enquêtes montraient, par exemple, que la fréquence moyenne des rapports sexuels dans les couples mariés (ou assimilés) diminuait avec le temps. De plus, les spécialistes pouvaient affirmer que l’effet se faisait sentir indépendamment du vieillissement et de l’état de santé des partenaires. La belle affaire, dira-t-on : c’est le genre d’évidence dont le théâtre de boulevard fait son ordinaire. Tout le monde sait que l’habitude émousse le désir, sans parler des effets de l’ennui, de la paresse ou de la mésentente.

Mais C. Liu n’est pas homme à se contenter d’évidences. Pour être conforme à son mode de pensée habituel, l’analyse de ce triste phénomène devait interroger la part rationnelle et calculée de l’action humaine, dans un domaine où, plus volontiers, on ne voit que pulsions, affects et désirs incontrôlés. Pour cela, il lui incombait de traduire le langage de l’amour dans celui de l’économie de marché.