À quoi servent les instances de représentation du personnel ? Si le patronat et les organisations syndicales aiment à célébrer les vertus du dialogue social, le canal privilégié par lequel il est censé s’effectuer, les réunions de délégation du personnel ou de comité d’entreprise, suscite un certain désabusement de part et d’autre. Lieux de consultation purement formelle, regrettent régulièrement les représentants salariaux. Tribunes politiques trop éloignées des enjeux de l’entreprise, tendent à considérer les cadres dirigeants. Ces hauts lieux de la « démocratie sociale » ne seraient-ils qu’une perte de temps ?
Christian Jouen, secrétaire du Conseil d’entreprise de Bayard Presse (Paris), est loin de le penser. Pour cet élu CFDT, l’échange d’informations est le rôle premier des instances de représentation du personnel (IRP). « Les salariés sont très demandeurs dans ce domaine : quel est le projet d’entreprise ? Comment les métiers vont-ils évoluer ? Quel impact l’informatisation des pratiques va-t-il avoir sur eux ? » Le courant passe également dans l’autre sens. « Les IRP sont devenues de véritables lieux d’opinion. La direction y apprend elle-même beaucoup sur le climat de l’entreprise », observe-t-il.
C. Jouen, vieil habitué de la négociation d’entreprise n’hésite pas à parler de « démocratie représentative » à propos des IRP. Tous les ingrédients de la légitimité politique ne sont-ils pas réunis lorsqu’un secrétaire de CE peut se prévaloir d’un score sans appel aux élections internes ? Une donnée que les dirigeants de l’entreprise ne sauraient, selon lui, prendre à la légère.
Des questions plus ou moins abordables
Mais comment une telle légitimité pèse à l’heure de participer aux décisions de l’entreprise ? Cela dépend des cas. « Le fonctionnement des instances est beaucoup plus collaboratif dans les domaines de la formation ou de la sécurité au travail », observe C. Jouen. Un point de vue que partage Pierre T. (1), représentant CE et élu FO d’un équipementier automobile de l’Est de la France. Dans ce secteur en pleine restructuration, le dialogue social n’est pas au beau fixe. Dans le domaine des conditions de travail, les élus parviennent néanmoins à se faire entendre. « Il y a quelque temps, l’entreprise a adopté de nouveaux équipements de montage des tableaux de bord. Les ouvriers devaient désormais déplacer la pièce entière d’une machine à l’autre, ce qui impliquait un poids bien supérieur à ce qui était le cas auparavant. Nous l’avons fait valoir à la direction qui a admis la nécessité de doter les ateliers d’équipements additionnels pour déplacer les pièces d’une machine à l’autre », raconte Pierre T.
« Dans le domaine des conditions de travail ou de la formation, c’est le plus souvent de la base que viennent les informations pertinentes », confirme Pascal Bovero, délégué général de Fédération de l’imprimerie et de la communication graphique (FICG). Qu’attendent du dialogue social les patrons de son secteur ? Suivre attentivement la mutation des métiers et mettre sur pied les plans de formation qui permettront à leur personnel d’assimiler les nouvelles compétences requises. Or dans un secteur de petites entreprises en pleine révolution technologique, cela ne peut s’effectuer sans une interaction étroite avec les personnels, des techniciens qui détiennent souvent les savoir-faire dans l’entreprise. « Lorsqu’il s’agit d’organiser les ateliers, ou bien de décider d’un investissement, il est inimaginable de le faire sans la participation des salariés. Je ne connais pas un seul dirigeant qui, à l’heure d’acheter une nouvelle machine, n’emmène pas son technicien avec lui au salon professionnel. »
P. Bovero n’en exprime pas moins une insatisfaction vis-à-vis des canaux existants de participation et de négociation. Comment parvenir à de bons accords dans un contexte où l’autre partenaire flanche ? D’un côté, les organisations syndicales ont une faible représentativité, ce qui risque de fausser les accords de branche. Jean-Michel Gricourt, élu CGT au CE d’Air France Cargo, déplore également ce défaut de représentativité : « Les salariés s’intéressent peu à l’entreprise, ne savent pas comment fonctionnent les instances, sont souvent déçus parce qu’ils ont le sentiment que les élus n’ont pas de pouvoir. » Dans un tel contexte, la tentation est alors pour les directions de recourir à la participation directe des salariés
Une telle pratique, souvent bien accueillie par le personnel, présente cependant des risques. Ainsi lorsqu’elle est appliquée aux réorganisations du travail. « La direction invite des salariés à intégrer des groupes de travail où ils sont invités à critiquer leur activité, raconte Pierre T. Or, à la longue, de réorganisation en réorganisation, les conditions de travail finissent par se détériorer. Les représentants salariés, membres de CHSCT (Comité hygiène, sécurité et conditions de travail) ou non, sont largement impuissants devant ces évolutions. Jamais conviés aux réunions de travail, les élus s’entendent répondre “les salariés ont participé à la réorganisation”, dès qu’ils tentent de soulever un problème. » C. Jouen déplore lui aussi la difficulté à intervenir dans le domaine du stress au travail. « Avec la gestion participative des objectifs, les salariés intériorisent leurs propres contraintes. Les directions jouent un double jeu : un jeu collectif, où elles respectent le CE parce qu’elles en ont besoin et, en parallèle, elles mènent des stratégies d’individualisation dans la définition des postes, les salaires, les objectifs. » Et plus on se rapproche des décisions stratégiques de l’entreprise plus la procédure de consultation des élus tend à devenir un pur exercice formel. Comme les autres équipementiers automobiles, l’entreprise de Pierre T. est engagée dans un processus accéléré d’internationalisation de la production. Les plans sociaux se succèdent et se ressemblent. La direction mise de plus en plus sur les bas salaires des pays de l’Est. Forts des expertises économiques que la loi permet au CE de solliciter auprès de cabinets spécialisés, les élus tentent d’utiliser les instances pour proposer des alternatives. C’est généralement peine perdue. Mais c’est aussi dans de telles situations de crise que les représentants salariés, et le CE en particulier, retrouvent leurs prérogatives. Alors que toute procédure de licenciement collectif est suivie de près par le tribunal de commerce, un débat social s’ouvre entre les directions et les représentants du personnel, afin d’explorer les perspectives de reclassement des salariés. Et à ce point, il n’est pas rare que les lignes bougent. Narrateur inlassable de l’épopée de Chausson, autre équipementier automobile, à laquelle il a consacré un livre (2), Bernard Massèra raconte comment, grâce à la forte mobilisation des salariés, la négociation a permis de conserver l’activité de l’une des deux usines du groupe, qui n’a fermé définitivement qu’en février 2007, soit quinze ans après les événements. Les deux actionnaires majoritaires, Renault et Peugeot, avaient initialement souhaité la liquidation pure et simple de l’entreprise Chausson. Exposés à des situations analogues, certains élus souhaitent pouvoir peser véritablement sur les décisions stratégiques de l’entreprise. , estime Pierre T. L’enjeu apparaît d’autant plus vif aux yeux de Thierry Bigeon, délégué syndical CGT d’Air France, que les conditions de travail sont parfois indissociables des questions stratégiques, comme lorsque la compagnie aérienne décide de créer une filiale dans laquelle les situations d’emplois sont moins favorables que dans d’autres sociétés du groupe. Associer les salariés aux décisions stratégiques ? estime P. Bovero.
Christian Jouen, secrétaire du Conseil d’entreprise de Bayard Presse (Paris), est loin de le penser. Pour cet élu CFDT, l’échange d’informations est le rôle premier des instances de représentation du personnel (IRP). « Les salariés sont très demandeurs dans ce domaine : quel est le projet d’entreprise ? Comment les métiers vont-ils évoluer ? Quel impact l’informatisation des pratiques va-t-il avoir sur eux ? » Le courant passe également dans l’autre sens. « Les IRP sont devenues de véritables lieux d’opinion. La direction y apprend elle-même beaucoup sur le climat de l’entreprise », observe-t-il.
C. Jouen, vieil habitué de la négociation d’entreprise n’hésite pas à parler de « démocratie représentative » à propos des IRP. Tous les ingrédients de la légitimité politique ne sont-ils pas réunis lorsqu’un secrétaire de CE peut se prévaloir d’un score sans appel aux élections internes ? Une donnée que les dirigeants de l’entreprise ne sauraient, selon lui, prendre à la légère.
Des questions plus ou moins abordables
Mais comment une telle légitimité pèse à l’heure de participer aux décisions de l’entreprise ? Cela dépend des cas. « Le fonctionnement des instances est beaucoup plus collaboratif dans les domaines de la formation ou de la sécurité au travail », observe C. Jouen. Un point de vue que partage Pierre T. (1), représentant CE et élu FO d’un équipementier automobile de l’Est de la France. Dans ce secteur en pleine restructuration, le dialogue social n’est pas au beau fixe. Dans le domaine des conditions de travail, les élus parviennent néanmoins à se faire entendre. « Il y a quelque temps, l’entreprise a adopté de nouveaux équipements de montage des tableaux de bord. Les ouvriers devaient désormais déplacer la pièce entière d’une machine à l’autre, ce qui impliquait un poids bien supérieur à ce qui était le cas auparavant. Nous l’avons fait valoir à la direction qui a admis la nécessité de doter les ateliers d’équipements additionnels pour déplacer les pièces d’une machine à l’autre », raconte Pierre T.« Dans le domaine des conditions de travail ou de la formation, c’est le plus souvent de la base que viennent les informations pertinentes », confirme Pascal Bovero, délégué général de Fédération de l’imprimerie et de la communication graphique (FICG). Qu’attendent du dialogue social les patrons de son secteur ? Suivre attentivement la mutation des métiers et mettre sur pied les plans de formation qui permettront à leur personnel d’assimiler les nouvelles compétences requises. Or dans un secteur de petites entreprises en pleine révolution technologique, cela ne peut s’effectuer sans une interaction étroite avec les personnels, des techniciens qui détiennent souvent les savoir-faire dans l’entreprise. « Lorsqu’il s’agit d’organiser les ateliers, ou bien de décider d’un investissement, il est inimaginable de le faire sans la participation des salariés. Je ne connais pas un seul dirigeant qui, à l’heure d’acheter une nouvelle machine, n’emmène pas son technicien avec lui au salon professionnel. »
P. Bovero n’en exprime pas moins une insatisfaction vis-à-vis des canaux existants de participation et de négociation. Comment parvenir à de bons accords dans un contexte où l’autre partenaire flanche ? D’un côté, les organisations syndicales ont une faible représentativité, ce qui risque de fausser les accords de branche. Jean-Michel Gricourt, élu CGT au CE d’Air France Cargo, déplore également ce défaut de représentativité : « Les salariés s’intéressent peu à l’entreprise, ne savent pas comment fonctionnent les instances, sont souvent déçus parce qu’ils ont le sentiment que les élus n’ont pas de pouvoir. » Dans un tel contexte, la tentation est alors pour les directions de recourir à la participation directe des salariés
Une telle pratique, souvent bien accueillie par le personnel, présente cependant des risques. Ainsi lorsqu’elle est appliquée aux réorganisations du travail. « La direction invite des salariés à intégrer des groupes de travail où ils sont invités à critiquer leur activité, raconte Pierre T. Or, à la longue, de réorganisation en réorganisation, les conditions de travail finissent par se détériorer. Les représentants salariés, membres de CHSCT (Comité hygiène, sécurité et conditions de travail) ou non, sont largement impuissants devant ces évolutions. Jamais conviés aux réunions de travail, les élus s’entendent répondre “les salariés ont participé à la réorganisation”, dès qu’ils tentent de soulever un problème. » C. Jouen déplore lui aussi la difficulté à intervenir dans le domaine du stress au travail. « Avec la gestion participative des objectifs, les salariés intériorisent leurs propres contraintes. Les directions jouent un double jeu : un jeu collectif, où elles respectent le CE parce qu’elles en ont besoin et, en parallèle, elles mènent des stratégies d’individualisation dans la définition des postes, les salaires, les objectifs. » Et plus on se rapproche des décisions stratégiques de l’entreprise plus la procédure de consultation des élus tend à devenir un pur exercice formel. Comme les autres équipementiers automobiles, l’entreprise de Pierre T. est engagée dans un processus accéléré d’internationalisation de la production. Les plans sociaux se succèdent et se ressemblent. La direction mise de plus en plus sur les bas salaires des pays de l’Est. Forts des expertises économiques que la loi permet au CE de solliciter auprès de cabinets spécialisés, les élus tentent d’utiliser les instances pour proposer des alternatives. C’est généralement peine perdue. Mais c’est aussi dans de telles situations de crise que les représentants salariés, et le CE en particulier, retrouvent leurs prérogatives. Alors que toute procédure de licenciement collectif est suivie de près par le tribunal de commerce, un débat social s’ouvre entre les directions et les représentants du personnel, afin d’explorer les perspectives de reclassement des salariés. Et à ce point, il n’est pas rare que les lignes bougent. Narrateur inlassable de l’épopée de Chausson, autre équipementier automobile, à laquelle il a consacré un livre (2), Bernard Massèra raconte comment, grâce à la forte mobilisation des salariés, la négociation a permis de conserver l’activité de l’une des deux usines du groupe, qui n’a fermé définitivement qu’en février 2007, soit quinze ans après les événements. Les deux actionnaires majoritaires, Renault et Peugeot, avaient initialement souhaité la liquidation pure et simple de l’entreprise Chausson. Exposés à des situations analogues, certains élus souhaitent pouvoir peser véritablement sur les décisions stratégiques de l’entreprise. , estime Pierre T. L’enjeu apparaît d’autant plus vif aux yeux de Thierry Bigeon, délégué syndical CGT d’Air France, que les conditions de travail sont parfois indissociables des questions stratégiques, comme lorsque la compagnie aérienne décide de créer une filiale dans laquelle les situations d’emplois sont moins favorables que dans d’autres sociétés du groupe. Associer les salariés aux décisions stratégiques ? estime P. Bovero.