Islam rigoriste, jeunesse exclue radicalisée, embryon d’État islamique et révoltes sanglantes : ce triste quadriptyque n’est pas propre au monde post-11 septembre. Dès les années 1670, des phénomènes similaires ont vu le jour dans les régions actuelles du Sénégal, du Mali, du Nigeria ou de la République centrafricaine, sous le nom de « guerre de Shurbubba », « califat de Sokoto » ou « imamat de Fouta-Toro ». C’est ce qu’ont rappelé Abdel Wedoud Ould Cheikh et Jean Schmitz, deux anthropologues spécialistes du Sahel invités à présenter ces conflits oubliés par l’Institut d’études de l’islam et des sociétés du monde musulman.
Tuteurs illuminés
Les expériences jihadistes en Afrique ont pour point commun d’être soudées autour de « leaders illuminés ». Ce fut le cas de Nâsir Ad-Dîn, prédicateur religieux à l’origine d’un vaste conflit autour du delta du Sénégal dans les années 1670 : la guerre de Shurbubba. Descendant d’un grand marabout, « il prêchait le repentir, annonçait des échéances fatales et était très porté sur l’au-delà », explique A. Wedoud Ould Cheikh. Dans un contexte social très tendu – notamment une période de famine –, il parvient à rassembler le soutien des plus démunis, qui veulent bousculer le pouvoir en place. Les Maures, populations berbères jusque-là dominées par une élite arabophone, se rallient. Succès : Nâsir Ad-Dîn « impose alors un serment d’allégeance » aux populations locales et devient « quasi-Premier ministre » sur une partie du territoire. Il enchaîne les combats pour imposer son semblant d’État. L’entreprise échoue en 1675, avec la mort de Nâsir Ad-Dîn.