«Le monde unipolaire n'existe plus» Entretien avec Pascal Boniface

Pour le géopoliticien Pascal Boniface, l’entrée dans un monde multipolaire ne signifie pas la constitution de nouveaux blocs continentaux.

Après le monde bipolaire, du temps de la guerre froide, les politologues ont parlé d’un monde unipolaire, dominé par les États-Unis, dans les années 1990 ; désormais, le terme qui revient est celui de multipolarité. Cette grille de lecture permet-elle d’appréhender les relations internationales actuelles de manière pertinente ?

Il n’est plus du tout pertinent de parler de « guerre froide », de « blocs », de « monde bipolaire ». Le monde n’est pas non plus unipolaire car les États-Unis ne peuvent plus le gérer à eux seuls. De la Syrie au conflit israélo-palestinien, de leur relation avec la Chine, y compris avec le Mexique, ou avec la Russie, ou encore l’Ukraine, on voit bien que les États-Unis ne sont plus en mesure d’imposer leur volonté au reste du monde. D’ailleurs, Donald Trump lui-même le reconnaît implicitement : il parle de rendre l’Amérique plus grande, ce qui signifie qu’elle ne l’est plus tout à fait. Actuellement, le monde se divise en pôles de puissance. Est-il pour autant multipolaire ? Pas tout à fait, dans la mesure où les États-Unis conservent un poids stratégique supérieur aux autres nations.

Des rivalités subsistent, elles portent désormais sur des enjeux nationaux, et non plus sur des enjeux idéologiques, comme du temps de la guerre froide.

Partagez-vous le constat du géographe Michel Foucher qui parle de « désoccidentalisation de la mondialisation » ?

Il est vrai que le monde occidental a perdu, parallèlement à la mondialisation, le monopole de la puissance qu’il avait auparavant. Avec Hubert Védrine, depuis longtemps, nous répétons qu’il faut cesser de se leurrer : les Occidentaux n’ont plus le monopole de la puissance. L’erreur des États-Unis, au moment où l’URSS disparaissait, a été de penser qu’ils n’auraient plus de rival à leur mesure. Depuis lors, l’émergence les a détrompés en faisant apparaître de nouvelles puissances : la Chine, la Russie, etc. Il n’est plus possible désormais pour les Occidentaux d’imposer leur volonté au reste du monde, j’en veux pour preuve les échecs fracassants en Irak et en Afghanistan !