D'où vient le mot ?
Même si la pratique et le phénomène visés par ce mot ne sont pas nouveaux, on peut faire remonter l'apparition de la formule « société multiculturelle » au milieu des années 60, sur le continent nord-américain. A cette époque, dans le but d'apporter une solution aux conflits linguistiques franco-anglais, les autorités fédérales d'Ottawa rendirent publique leur intention de « reconnaître la nature multiculturelle de la société canadienne ». Ce programme allait être engagé dans les années 70 par Pierre-Elliot Trudeau, prenant finalement une dimension constitutionnelle en 1982. Dans le même temps, aux Etats-Unis, dans le prolongement des luttes des Noirs pour les droits civiques, l'idée s'est développée, dans les milieux intellectuels et militants, que les minorités linguistiques, ethniques, religieuses, voire sexuelles étaient victimes d'une injustice, dans la mesure où leur culture n'accédait pas au même degré de reconnaissance que celle de la majorité « blanche, anglophone et protestante ». Obtenir cette reconnaissance, corriger les injustices et définir les moyens de faire coexister ces cultures différentes, le tout au sein d'une société démocratique, libérale et pacifique : tels sont les principaux idéaux qui animent le multiculturalisme, entendu au sens d'une doctrine dépassant aujourd'hui le cas particulier de l'Amérique du Nord.
Bien que les sociétés pluriculturelles n'aient jamais cessé d'exister - moins de 10 % des pays du monde peuvent être considérés comme culturellement homogènes -, l'idée multiculturelle représente un changement d'orientation pour les politiques des Etats-nations : depuis le xixe siècle, en effet, leurs efforts ont été tournés vers la réduction des différences culturelles et l'assimilation des populations allogènes.
Pourquoi un tel changement ? Les raisons tiennent d'abord à un constat : depuis les années 70, les questions d'identité raciale, ethnique et linguistique, aussi bien dans les démocraties occidentales que dans l'ex-bloc soviétique, sont des sources croissantes de conflits et de revendication. Partout dans le monde, des populations autochtones, des minorités religieuses ou linguistiques, des groupes d'immigrés manifestent plus ou moins radicalement leur désir de voir leur culture reconnue. D'autre part, l'existence de minorités culturelles pose un problème de justice sociale : dans un pays démocratique, la pratique d'une religion ou d'une langue est en principe libre. Mais est-il juste de ne pas offrir un soutien égal à chacune d'entre elles à travers l'école et les aides publiques ? De favoriser la culture majoritaire ? Le multiculturalisme désigne l'ensemble des doctrines politiques et philosophiques qui soutiennent que, dans un esprit de justice sociale et de tolérance, les cultures particulières à un groupe social doivent accéder à une reconnaissance publique.