Vers un monde multipolaire Entretien avec Pascal Boniface

Pour le politologue Pascal Boniface, nous sommes passés en trente ans d’un système bipolaire à un système multipolaire annonçant la fin du monopole occidental.

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Le début des années 1990 a été marqué par la fin de la guerre froide. Peut-on, trente ans plus tard, parler d’une nouvelle guerre froide qui s’instaurerait entre les États-Unis et la Chine ?

Je ne comparerai pas nécessairement ces deux moments. La fin des années 1980 marquait celle du monde bipolaire : c’était une évolution brutale, une révolution stratégique comme il y en a eu peu. Aujourd’hui, on est plutôt dans une période de longue recomposition. Le dépassement prochain du PIB des États-Unis par celui de la Chine, par exemple, n’aura pas la même signification que l’effondrement de l’URSS. Et on ne peut pas vraiment parler d’une nouvelle guerre froide dans la mesure où la Chine n’est pas à la tête d’une alliance mondiale qui a pour but de renverser l’alliance américaine : son but est uniquement de prendre la première place. Elle ne l’occupera pas forcément car elle n’exercera pas la même attraction culturelle et que les États-Unis continueront à faire valoir leurs atouts.

Des événements comme le 11-Septembre, le Brexit ou l’élection de Donald Trump ont fortement secoué ces trente dernières années. Ont-ils provoqué des changements géopolitiques majeurs ?

Les événements que vous citez sont historiques et importants mais aucun n’a débouché sur un monde radicalement différent de celui qui existait auparavant. Le 11-Septembre, par exemple, est considéré comme un tournant stratégique mais à mon avis à tort : les États-Unis ont été très durement frappés, avec un choc émotionnel terrible, mais n’ont pas complètement changé de politique. Le fossé qui les séparait des sociétés musulmanes avait commencé à s’élargir auparavant, des bombardements sur l’Irak avaient eu lieu sans feu vert de l’Onu dès 1998 et les néoconservateurs revendiquaient déjà le renversement de Saddam Hussein. L’adhésion de la Chine à l’OMC, la même année 2001, alors qu’elle pesait environ 10 % du PIB américain contre deux tiers aujourd’hui, a peut-être eu des conséquences mondiales plus importantes que le 11-Septembre… Si on a pu être tenté de dater la fin du monde bipolaire à la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, on ne peut pas dater précisément le changement le plus important des trente dernières années, la fin du monopole occidental sur la puissance et le passage à un monde multipolaire ou en voie de l’être.