Les Rendez-vous de Blois sont une vitrine incontournable de l’histoire telle qu’elle se fait en France. Il s’y presse tout ce que l’édition compte de grands noms et d’obscurs représentants de la discipline. Et la multiplicité des débats permet de se faire une idée résumée, un « abstract » pour reprendre un terme à la mode en ces temps d’évaluation et d’arbitrage budgétaire, une synthèse donc de l’état du champ de bataille.
Le passé effacé…
Le 15 octobre 2011 siégeaient ainsi, à l’occasion de cette grand-messe des bords de Loire, quatre éminents membres de la noblesse de plume historiographique. Nos cardinaux avaient noms Mona Ozouf, Pierre Nora, Jean-Noël Jeanneney et Jean-François Sirinelli. Ce dernier introduisit la table ronde par l’esquisse d’un séisme : la tectonique des plaques historiographiques aurait fait glisser le bloc majeur qu’était autrefois l’histoire à la française sous le continent anglo-saxon. L’histoire n’est plus française, les colloques internationaux n’accueillent quasiment plus d’interventions d’historiens de l’Hexagone. Et les causes ne sont pas à chercher seulement dans une mauvaise maîtrise de la langue de Shakespeare. Si l’histoire made in France reste on ne peut plus féconde, ce n’est que par le dynamisme de la jeune génération. Sauf que… « Je vois maintenant les difficultés éprouvées par mes jeunes collègues pour se faire titulariser, s’inquiète J.‑F. Sirinelli (…). Quand la sève ne monte plus, l’arbre meurt. »
M. Ozouf surenchérit, dressant le constat d’une anémie de l’histoire en France depuis les années 1970. « À l’international, notre discipline était reine. Aujourd’hui elle est nue. » À l’origine, les Annales – vitrine de l’excellence – traitaient de sujets lointains donc universels par leur portée. Georges Dumézil nous faisait rêver d’Indo-Européens, Georges Duby nous dépaysait en son Moyen Âge, Fernand Braudel nous pilotait en Méditerranée… Ont suivi trente années de querelles épistémologiques. Paul Veyne a ouvert le bal, se demandant Comment on écrit l’histoire (Seuil, 1979). Chaque sujet devenait occasion de réflexion épistémologique, avec un Jacques Le Goff rédigeant une biographie de saint Louis doublée en abîme d’un questionnement sur la faisabilité de l’écriture du passé. Au terme de ces trois décennies de réflexion nombriliste, conclut M. Ozouf, l’historien a égaré ses certitudes. À l’heure de l’accès instantané au monde, le temps s’accélère… L’historien était porte-parole du passé et interprète de l’avenir ; il rame aujourd’hui à contre-courant dans une société qui n’a pas envie d’entendre discourir des liens entre ce qui était et ce qui sera.