L'un des récits les plus aimés, les plus cités, les plus racontés aux enfants est sans doute Le Petit Chaperon rouge. C'est en 1697 qu'il apparaît sous sa forme littéraire avec Charles Perrault. Cet académicien, grand commis de l'Etat sous Louis XIV, l'a manifestement reçu de la tradition populaire orale. Plus de cent ans plus tard (1812), il réapparaît dans un recueil de contes allemands des frères Jacob et Wilhelm Grimm, arrivé probablement par diverses voies, orales et écrites, et entre autres par une pièce de théâtre de Ludwig Tieck où se manifeste pour la première fois le personnage du chasseur.
A chaque étape, l'économie interne du récit a été profondément remaniée. La différence majeure est que chez C. Perrault, comme chez L. Tieck, l'histoire finit par la mort de la fillette, alors que chez les Grimm, dont la version deviendra incontestablement la plus populaire, celle-ci est tirée vivante du ventre du loup à la grande joie des enfants.
En ajoutant des « annotations » érudites aux Kinder- und Hausmärchen (Contes pour les enfants et le foyer), les frères Grimm ont donné le coup d'envoi à une recherche sur les contes merveilleux qui a fini par mobiliser les disciplines les plus diverses : études folkloristes, histoire, sociologie, ethnologie, psychanalyse... Popularisé dans le monde entier, Le Petit Chaperon rouge a fait l'objet de nombreuses approches en tous genres, malgré l'extrême simplicité de l'intrigue. Les différentes directions dans lesquelles les uns et les autres ont travaillé depuis un siècle et demi permettent du même coup de réaliser sur un plan plus général en quel sens les idées, les théories et les méthodes ont évolué.
L'approche folkloristique consiste à rechercher les origines et les variantes des contes, leur diffusion, leur contamination par d'autres, leurs transformations de l'oral à l'écrit...
Gare aux croquemitaines en tous genres !
En France, l'intérêt pour les contes populaires ne s'est éveillé que tardivement. De même que l'humiliation subie du fait de l'invasion napoléonienne de 1806 a incité les jeunes Grimm à exalter le patrimoine culturel de la nation allemande, de même celle endurée par la France lors de la défaite de 1870 a poussé les folkloristes à mettre en valeur les trésors véhiculés par le « petit peuple ». L'étude du Petit Chaperon rouge en fut profondément enrichie. En effet, on a recueilli une quarantaine de versions orales en milieu paysan, principalement dans la vallée de la Loire et dans le Nord des Alpes, auxquelles s'ajoutèrent des récits en provenance d'Italie et du Tyrol. Plusieurs d'entre eux n'ont manifestement pas été contaminés par les versions écrites devenues « canoniques » 1.
On trouve dans la plupart de ces histoires villageoises, où C. Perrault a puisé, un fil conducteur commun : un enfant (habituellement une fillette), dont on ne précise pas la coiffure, se rend chez une femme de sa parenté (grand-mère, mère, marraine, tante) pour lui porter quelque chose à manger. Elle rencontre un personnage douteux (loup, garou, diable, homme laid...) qui se propose d'y aller aussi, mais par un chemin différent. Il arrive le premier à destination et tue la parente (l'avale, la dépèce). Quand la petite arrive et a faim, il lui demande de se restaurer avec la chair et le sang qui restent. Des voix mystérieuses (animaux, anges) la mettent en garde. Au moment de se coucher, un dialogue s'engage qui porte sur les différentes parties du corps du méchant. Soit la fillette est avalée à son tour, soit elle arrive à s'échapper en prétextant un besoin à satisfaire, bien qu'attachée par le monstre avec une corde. Ce dernier parfois survit sans être inquiété, ou est abattu (par un chasseur, un bûcheron, le parrain), ou se tue au cours de la poursuite.
Nous sommes donc à la fois près et loin des versions littéraires. C. Perrault a éliminé tout ce qui aurait pu indisposer son public : le thème des deux chemins choisis l'un par le loup, l'autre par la petite fille (dits, dans certaines versions « des aiguilles » et « des épingles », ou des « ronces » et des « pierres », etc.), le repas cannibale qu'absorbe la fillette, la fuite finale avec ses détails scatologiques ; c'est chez lui aussi qu'apparaît le thème devenu déterminant de la coiffure rouge. Quant aux Grimm, ils ont ajouté au canevas de C. Perrault l'épisode décisif de l'ultime sauvetage de la fille et de l'aïeule : il n'est pas exclu qu'il y ait eu contamination par un autre conte beaucoup plus répandu en Europe et en Asie : Le Loup, la chèvre et les sept chevreaux, dans lequel la chèvre ouvre le ventre du loup pour récupérer ses petits que ce glouton a avalés tout rond.