La promesse du Christ Une brève histoire du christianisme

Jésus, Paul et les autres ont imposé un récit. Et celui-ci a hanté deux millénaires de notre histoire…

Un homme seul. Seul face à la foule. Seul face à l’appareil répressif du plus grand empire de tous les temps, au dogmatisme des gardiens du Temple, à l’aveuglement humain. Un homme seul mandaté par un Dieu lointain pour sauver l’humanité. Un Dieu de justice qui devient ainsi Dieu d’amour, offre à ces humains ingrats, violents et imparfaits que nous sommes la souffrance rédemptrice de son Fils, mis à mort de la manière la plus atroce et indigne que l’on pouvait alors concevoir.

L’efficacité d’un mythe

À en juger par le nombre de personnes aujourd’hui touchées, alors qu’un humain sur trois en ce monde se revendique chrétien, les Évangiles ont été le mythe le plus efficace de tous les temps. Mythe, au sens anthropologique de récit fondateur partagé par une communauté. Ce mythe s’est incarné dans le calvaire de Jésus, psalmodié autrefois dans les catacombes, minutieusement sculpté au fil des 14 stations des innombrables calvaires dont l’art catholique a décoré ses églises.

Ce mythe est à la fois intemporel, obsessionnel, et formidablement plastique. Ce pourquoi il a pu évoluer. Il s’est adapté aux changements sociaux, a survécu aux tempêtes politiques, s’est joué des revirements idéologiques. Son plus féroce propagandiste, Tertullien, un converti enthousiaste, Père de l’Église potentiel avant de virer hérétique, à la charnière des 2e et 3e siècles, aimait à dire que la mort de Jésus était un scandale. Comment imaginer, dans une société élitiste comme celle de Rome, un destin plus méprisable que celui de cet obscur prophète juif et plébéien ? En rébellion contre l’Empire, dénoncé et vilipendé par les siens, livré sous les crachats au plus dégradant des supplices, pour revenir d’entre les morts ouvrir la voie vers le salut pour tous ! La Passion était si scandaleuse que son message en devenait incroyable. Tout le génie rhétorique de Tertullien fut mobilisé pour clamer que cela ne pouvait être que vrai, tellement cela était impossible. Au plus efficace des messages, il fallait un slogan qui percute les consciences, en suscitant le plus extrême des paradoxes. Jésus était ressuscité, ce ne pouvait être que vrai. Il était Christ, l’Élu qui devait revenir à la fin des temps.

Avant Tertullien, juste après Jésus, Saul avait accompli l’étape décisive. On ne sait pas grand-chose de certain sur Jésus, sinon qu’il était juif. Ses héritiers directs, notamment Jacques le Juste, « frère de Jésus », semblent considérer que son message s’adresse aux juifs. Saul est un juif hellène, comprendre un collabo des Romains, qui rencontre Jésus alors qu’il traque ses disciples du côté de Damas. Puis, soudain, le voilà ébloui, converti. On le dirait aujourd’hui born-again, de ces gens qui renaissent après avoir « rencontré » Jésus. Que cette rencontre soit fantasmée, métaphorique ou réelle, elle est en tout cas une évidence pour la personne concernée.

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Saul de Tarse se métamorphose en saint Paul. Contre Jacques, il défend qu’il n’est pas nécessaire d’être circoncis pour faire shabbat. Il veut ouvrir grand les portes de la synagogue aux goyim, les non-juifs, pour peu qu’ils lui semblent de bonne volonté. Les chrétiens cessent dès lors d’être juifs. Cela prend deux ou trois siècles. Car si les rabbis d’un côté, les diacres de l’autre, s’emploient à clore leurs territoires théologiques, à théoriser les distinctions, on devine que leurs subtilités échappent à nombre de leurs ouailles. Certains s’obstinent à rester judéo-chrétiens.