Le pragmatisme. À quoi servent les idées ?

Pour le pragmatisme, qui a profondément marqué la philosophie aux Etats-Unis, il n'existe pas de vérités absolues, mais des connaissances plus ou moins utiles. Et cela vaut autant pour les croyances ordinaires que pour les connaissances scientifiques, pour les valeurs morales que pour les doctrines politiques.

De 1871 à 1876, à une époque où « les philosophes en Amérique sont aussi rares que les serpents en Norvège » 1, se réunit régulièrement à Cambridge (Massachusetts), tout près de l'université de Harvard, un petit club de penseurs (philosophes, psychologues, juristes, logiciens) pour y discuter de philosophie, de morale, de politique et de diverses questions scientifiques. Au nombre des membres de ce petit groupe figure Charles Sanders Peirce (1839-1914), un logicien et physicien qui travaille à l'Institut géodésique. C.S. Peirce est manifestement le leader intellectuel du groupe. Son ami William James (1842-1910) en est l'autre figure marquante. Fils d'un universitaire de grande renommée et frère de l'écrivain Henri James, William, après avoir longuement hésité entre la médecine et la peinture, est devenu professeur de psychologie à Harvard. Il y créera le premier laboratoire de psychologie expérimentale.

C.S. Peirce et W. James sont à l'origine d'une doctrine qui aura une influence décisive sur la pensée américaine : le pragmatisme.

L'« esprit de laboratoire » de Charles Sanders Peirce

Le premier point commun des membres de ce petit groupe, qu'ils ont baptisé ironiquement le «Club métaphysique», est justement leur critique de la pensée méta- physique, c'est-à-dire d'une philosophie purement spéculative qui prétend connaître la « Vérité » ultime sur le monde.

C.S. Peirce, W. James et leurs amis sont d'accord pour admettre qu'une démarche nouvelle est nécessaire pour faire sortir la pensée de sa gangue métaphysique. La « Vérité », entendue comme une adéquation parfaite entre l'idée et le monde, est un mirage de l'esprit. Il faut se défaire des idées générales, et souvent inconsistantes, que produit la pensée métaphysique (c'est-à-dire la philosophie spéculative), pour atteindre des connaissances à la fois plus concrètes et vérifiables par l'expérience.

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Dans un texte de 1878, « Comment se fixent nos croyances », C.S. Peirce expose pour la première fois les principes du pragmatisme. Nos idées ne sont pas des vérités universelles, mais des outils destinés à résoudre des problèmes pratiques. Les croyances - des idées communes aux théories scientifiques - sont des guides de l'action. Elles se stabilisent lorsqu'elles sont bien adaptées à un milieu donné. Elles sont remises en cause lorsque des problèmes nouveaux surgissent. Des nouvelles croyances ou idées, provisoirement plus adaptées, prennent alors le relais. Telle est la conception adaptative de la pensée que propose le pragmatisme.

Dans « Comment rendre nos idées claires », publié un an plus tard, en 1869, C.S. Peirce tire de sa vision de la connaissance une importante conclusion de méthode. Les idées ne peuvent progresser qu'en se donnant une formulation opératoire, propre à pouvoir être expérimentée et à diriger l'action. La véritable portée d'une théorie se mesure aux propositions que l'on peut valider par l'expérience. La robustesse d'une connaissance est liée à l'efficacité des actions qu'elle dirige correctement.