Le punk, quarante ans de contre-culture

Fêter les 50 ans de Mai 68 ? Certes. Mais il serait peut-être tout aussi utile de regarder de plus près les 40 ans (et quelques) du punk, mouvement phare de la contre-culture.

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Londres le 7 juin 1977. La reine Elizabeth II fête ses vingt-cinq ans de règne. Toute vêtue de rose, elle défile dans son carrosse noir et or. Sur son passage, une foule enthousiaste agite des petits drapeaux de l’Union Jack. En apparence, tout va pour le mieux dans le royaume d’Angleterre. Pourtant, quelques centaines de mètres plus loin, un jeune chanteur aux cheveux orange hurle sur le son d’une guitare électrique sa version personnelle de l’hymne national : « Que Dieu protège la reine, le régime fasciste (…). Elle n’est pas un être humain, il n’y a pas d’avenir dans le royaume féerique d’Angleterre. » Il s’appelle Johnny Rotten (« le pourri »). Accompagné de son groupe, les Sex Pistols, il balance sa rage ironique et transgressive à la face du pays avec à la clé un vaste scandale et une interdiction de diffusion sur les ondes de la BBC.

À leur façon, les Sex Pistols en disent long sur l’Angleterre de leur temps, rappelle le journaliste du Monde Stéphane Davet dans un article du 29 août 2006 1. Le pays est en effet traversé par de nombreuses fractures : violence d’Irlande du Nord, conséquences du choc pétrolier, chômage croissant, inflation qui galope, industrie vieillissante et tensions raciales… Un témoin cité par S. Davet se souvient : « Il y avait des quartiers entiers de Londres qui étaient plongés dans une extrême pauvreté, des sites encore marqués par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale. Le contexte social se dégradait, la vie culturelle était au point mort. L’époque était mûre pour les Sex Pistols. »

Musicalement, le mouvement dont les Sex Pistols sont les représentants emblématiques a émergé quelques années plus tôt sur la scène musicale états-unienne en opposition à un rock jugé trop sophistiqué et trop commercial. Avec le punk, plus de solos de guitare ou de démonstration de virtuosité, mais des morceaux courts, rapides, sans aucune prouesse technique et d’une énergie débordante. Bref, du bruit et de la fureur. Les premiers groupes s’appellent les Ramones ou Blondie. Des fanzines, ces petites revues amateurs, en rendent compte, parlant de « punk rock ». En 1976, le manager britannique d’un des groupes, Malcom McLaren, importe cette musique à Londres. SEX, la boutique de vêtements de sa compagne Viviane Westwood, devient l’épicentre du mouvement et contribue à lui façonner son style, à base de t-shirts déchirés et d’épingles à nourrice…

Le son de la rébellion

Le punk a immédiatement une dimension provocatrice. Le mot d’ordre, c’est la remise en cause de l’ordre établi, la destruction et une provocation sans limite. Se proclamant anarchistes et sans avenir (« no future »), les Sex Pistols arborent des croix gammées. Les Clashs, autre groupe phare de l’époque, n’hésitent pas à célébrer les émeutes qui ont embrasé l’année précédente le quartier jamaïcain de Notting Hill. Immédiatement, le mouvement se répand dans la jeunesse britannique blanche des milieux ouvriers et des classes moyennes. La société britannique voit avec horreur se multiplier ces garçons qui se maquillent, portent des jeans déchirés et arborent des accessoires sexuels fétichistes – colliers de chien, chaînes et cadenas, et des filles aux bas résille déchirés ou montrant leurs seins. Les cheveux courts sont teints en couleur – la célèbre coiffure en crête, symbole du « look » punk, n’apparaîtra que quelques années plus tard. Le tout s’accompagne de bière et drogues, notamment amphétamines et héroïne. « Speed my speed », chantera quelques années plus tard le Français Alain Kan en célébrant cocaïne, morphine, héroïne, speed, joints et autres hypnotiques.

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L’art de la débrouille

L’expansion du punk est facilitée par sa façon de faire, qui peut se résumer au mot d’ordre « do it yourself » (fais-le toi-même). Le bricolage permanent est d’ailleurs considéré comme l’une des caractéristiques du mouvement punk. On joue sans avoir appris la musique, avec les instruments qu’on a, là où on peut – une cave, un parking, un squat. Cette facilité de mise en œuvre – qui distingue le punk des mouvements antérieurs comme le rock ou la disco – est l’une des clés de son succès. Cela permet au punk de s’autonomiser de l’industrie culturelle, devenue une industrie de masse. En 1977, rappelle Fabien Hein, le groupe britannique les Buzzcocks fabrique le premier disque punk autoproduit 2. Et dès le premier semestre 1980, alors que l’industrie mondiale du disque est dominée par les grandes majors comme EMI, 90 nouveaux labels apparaissent en Grande-Bretagne. Tout cela facilite l’expansion du punk hors des îles britanniques. Il se répand comme une traînée de poudre en Europe, et d’abord en France. Les chercheurs Solveig Serre et Luc Robène montrent que dans l’Hexagone, le mouvement punk connaît un succès dans l’ensemble du territoire, y compris dans les petits villages (entretien ci-dessous). Le tout pour la plus grande frayeur du reste de la société – dans les années 1990, le « punk à chien » deviendra la figure emblématique d’une jeunesse à la dérive.