Le réconfort de l'effort

La fatigue n’est pas intrinsèquement négative. En témoigne la passion moderne pour le sport qui, redonnant l’occasion d’éprouver ses limites physiques, procure la sensation d’exister.

17162819760_RECONFORT_EFFORT_TW.webp

La fatigue n’est pas un état brut, mesurable. Elle est un sentiment, une relation intime au sens, et non un seuil biologique. Elle n’est pas seulement « physique », elle englobe l’individu en son entier, et d’abord le rapport à soi et au monde. Elle est toujours définie à la première personne au sein de circonstances précises et selon la part qu’y prend l’individu. La comprendre impose de prendre en compte son état d’esprit. Son degré de décision dans l’activité qui l’épuise, la valeur qu’il lui accorde. Elle engage une métamorphose pour le meilleur ou pour le pire. Si elle s’impose à l’individu à son corps défendant, elle est une puissance de destruction. Si elle est la conséquence d’un engagement physique désiré, elle produit du plaisir, de l’intensité d’être. L’individu sait qu’à tout moment il peut y renoncer si les circonstances deviennent trop âpres pour lui.

Si la fatigue est inhérente à la dimension corporelle de la condition humaine, pour ne pas se transformer en souffrance, elle doit demeurer sous le contrôle ou le consentement.Elle s’inscrit alors en toute évidence pour l’individu dans son alternance avec le repos : « On ne prend plaisir à la fatigue que quand on n’y est pas voué, condamné. Il n’y a ici de joyeuse fatigue que si l’on est déjà dans la joie avant même de se fatiguer », écrit le philosophe Jean-Louis Chrétien (De la Fatigue, 1996).

Depuis les années 1980, nombre d’Occidentaux marchent, courent, rament, roulent à vélo, se dépensent sans compter et en redemandent avec bonheur. Ils veulent physiquement sentir le monde. La fatigue accompagne alors des activités qui produisent de la jubilation dans un engagement physique qui exige de longs efforts et parfois la détermination du caractère. On projette son corps dans le monde pour y restaurer une limite, éprouver à nouveau la sensation d’exister. La fatigue, comme la douleur, est en effet une butée identitaire.