Le rejet de l'art contemporain, pourquoi ?

L'art contemporain déroute. Peinture non-figurative, absence de cadre, détournement d'objets, travail sur le paysage... Est-ce de l'art? Doit-il être subventionné?

Paris, septembre 1985. Les Parisiens ébahis découvrent le Pont-Neuf sous un jour totalement nouveau. Il est complètement recouvert d'une immense toile en matière synthétique. Est-ce là l'oeuvre d'un plaisantin ? Non : c'est celle d'un artiste, Christo, déjà connu dans le monde culturel contemporain. Ainsi vêtu, le Pont-Neuf est-il pour autant passé du statut de patrimoine ou d'objet d'usage, à celui d'oeuvre d'art ? Incompréhension, scandale, admiration... le public est partagé, comme il l'est si souvent face à l'art contemporain.

L'analyse des polémiques suscitées par l'art contemporain nous enseigne que la question de la beauté y est très peu présente, au profit d'une série d'interrogations. Interrogation, d'abord, sur la nature même de ce qui est vu : l'art est-il authentique ou « foutaise », « fumisterie », « n'importe quoi » ? Interrogation, ensuite, sur la valeur des actes accomplis par l'artiste : dans quelle mesure a-t-il vraiment travaillé ? S'est-il montré sincère ou cynique ? Interrogation, aussi, sur son oeuvre : les images, les actes effectués transgressent-ils les valeurs morales, voire les règles de droit ? Et interrogation politique, enfin, sur l'opportunité du soutien des pouvoirs publics : faut-il subventionner telle ou telle proposition ?

Art classique, moderne, contemporain

L'art contemporain repose essentiellement sur l'expérimentation de toutes les formes de rupture avec ce qui précède : rupture qui peut être reçue soit comme une forme positive de transgression, lorsqu'elle est associée à une subversion critique, soit comme une forme négative, lorsqu'elle est associée à la recherche de l'originalité à tout prix ou de la notoriété à peu de frais. Cette transgression systématique des critères artistiques distingue radicalement l'art contemporain de l'art classique, mais pas de l'art moderne, qui avait lui-même expérimenté toute une série de transgressions plastiques des règles traditionnelles de l'art : perspective, figuration, rationalité des images, etc. La distinction avec l'art moderne est, en revanche, radicale, lorsque la transgression concerne non seulement les cadres esthétiques, mais aussi les cadres disciplinaires, voire les cadres moraux et même juridiques. Et cette transgression est particulièrement visible lorsqu'elle porte sur les matériaux eux-mêmes : c'est le cas avec les installations (oeuvres réalisées dans et pour un lieu, ou un paysage dans le cas du land art), les performances (impliquant le corps même de l'artiste) ou l'art vidéo.

Le « genre » de l'art classique repose sur la figuration, dans le respect des règles académiques de rendu du réel. Rares sont aujourd'hui les peintres reconnus que l'on puisse citer pour illustrer cette catégorie (Balthus en serait sans doute le moins éloigné). Natures mortes, portraits ou paysages proposés dans de nombreuses petites galeries (notamment en province) appartiennent à cette catégorie. Chez les praticiens de ce type de peinture, le renom tend à demeurer purement local.

publicité

Le genre de l'art moderne partage avec l'art classique le respect des matériaux traditionnels (peinture sur toile avec châssis ou sculpture sur socle), mais s'en éloigne en tant qu'il repose sur l'expression de l'intériorité de l'artiste. Tout d'abord, l'intériorité renvoie au caractère personnel et subjectif de la vision. Ainsi, l'impressionnisme, le fauvisme, le cubisme et même l'abstraction manifestent plastiquement la façon de voir de l'artiste (le surréalisme le fait fantasmatiquement, sur le plan des images intérieures). En cela, l'art moderne rompt avec un art classique où l'exigence première était la mise en oeuvre des standards de la représentation, des références communes. Mais le critère de l'intériorité se manifeste aussi dans l'exigence d'authenticité : l'oeuvre doit manifester son lien avec la personne de l'artiste, depuis ses pensées, ses perceptions ou ses sensations jusqu'à ses gestes mêmes. Le pinceau trempé dans la peinture et passé sur une toile, la matière brute modelée ou martelée par le sculpteur assurent une continuité sensible entre le corps de l'artiste et l'oeuvre réalisée.