Le temps des crétines

Eugénie, Antoine de Baecque, Stock, 2020, 208 p., 18,50 €.

L’histoire, disait Paul Veyne, est un « roman vrai ». De sa plongée dans les archives de la Salpêtrière, l’historien Antoine de Baecque a tiré un vrai roman, publié d’ailleurs dans une collection littéraire. Au centre de l’intrigue, Eugénie, « crétine des Alpes », nabote, difforme, ventrue, incontinente, pommettes saillantes, lèvres pendantes, le cou doublé d’un goitre imposant. Eugénie ne parle pas, ne pense pas. Autant de raisons d’exciter l’intelligentsia de son temps, qui y voit un prodigieux objet d’étude. Trente ans après la découverte de Victor, l’enfant sauvage, et dix ans avant les démonstrations de Jean-Martin Charcot sur les hystériques, l’époque est à la « crétinomanie ». On veut voir des arriérés. On rêve de les soigner. On ambitionne même, pour les apprentis sorciers de la pédagogie, de les civiliser.