Les révolutions arabes l’ont définitivement établi : les capacités d’expression, d’organisation et de mobilisation ouvertes par Internet jouent un rôle non négligeable dans la construction et la réussite de certains conflits sociaux. Si c’est aller bien vite en besogne que d’affirmer, comme cela a pu être le cas pendant l’hiver 2011, que Twitter et Facebook avaient fait la révolution à Tunis ou au Caire, le rôle du Web participatif dans les mobilisations collectives mérite que l’on s’y intéresse de près.
Reconnaître les potentialités qu’offrent les plus récents réseaux d’information et de communication ne doit certes pas conduire à en faire les causes ou ressources exclusives de l’action contestataire, laquelle ne saurait exister sans prendre appui sur des engagements politiques préalables. En la matière, les visions déterministes et romantiques de l’action doivent être récusées et ce sont précisément ces utopies technicistes que s’applique par exemple à dénoncer Evgeny Morozov dans The Net Delusion (1), rappelant que « ce ne sont pas les tweets qui font tomber les gouvernements, mais bien la population ». Pour le chercheur biélorusse, les usages contestataires d’Internet sont systématiquement mal interprétés et surévalués : le réseau des réseaux n’est pas en mesure de structurer des mobilisations citoyennes susceptibles d’étendre « réellement » la démocratie.
Si même les boys bands coréens…
A contrario, pour Manuel Castells, « les réseaux de communication » mettent en scène « une diversité culturelle et une multiplicité de messages à une échelle beaucoup plus large qu’aucune autre forme de l’espace public dans l’histoire (…). Dans un monde marqué par la communication de masse individuelle, ajoute-t-il, les mouvements sociaux et la rébellion (insurgent politics) ont la chance d’entrer dans l’espace public à partir de sources diverses (2) ». Là où E. Morozov tend à nier l’existence d’une forte homologie entre le programme d’action des médias sociaux et certaines formes contemporaines d’engagement, M. Castells fait du Web participatif la nouvelle panacée numérique.
Sans tomber dans l’un ou l’autre de ces travers, sans doute est-il utile de prendre la mesure du rôle non négligeable qu’ont pu jouer les technologies de l’information et de la communication (Tic) en général et le Web participatif en particulier dans certaines mobilisations sociales récentes. De fait, toujours plus nombreuses sont celles qui, d’une manière ou d’une autre, ont pris appui sur les potentialités offertes par Internet : en 2001, aux Philippines, lors des soulèvements contre le président Joseph Estrada ; en 2003, lorsque des manifestations contre la guerre en Irak ont été organisées simultanément dans 600 villes de par le monde ; en 2009, lors des mobilisations populaires en Iran contre la République islamique de Mahmoud Ahmadinejad, etc. Dans son dernier ouvrage (3), Clay Shirky relate même l’improbable mobilisation de jeunes Sud-Coréen(ne)s, en avril 2008, contre la réouverture des importations de viande bovine états-unienne. Celle-ci n’aurait pas été conduite à l’initiative d’organisations associatives ou politiques, mais aurait été lancée par de jeunes fans d’un boys band coréen, lesquels, fréquentant le forum du groupe, auraient, à un moment donné, polarisé leurs discussions légères (gossip) sur ce thème plus politique et lancé l’idée d’une protestation publique.